Les illustrations dans les dictionnaires Larousse
Depuis la fin du XIXe siècle, les encyclopédies Larousse sont présentes dans la plupart des bibliothèques familiales, en un ou plusieurs volumes. Les points forts de ce monument d’érudition sont incontestablement la richesse, la variété et la qualité de ses illustrations, qui ont littéralement enchanté plus d’un curieux, intrigué plus d’un écolier et ont sans doute permis d’engendrer bien des vocations.
Par le passé nous avions déjà pu constater à quel point les illustrations pouvaient contribuer au succès, puis à la renommée d’œuvres de grande envergure, comme l’Encyclopédie, la Description des arts et métiers, l’Encyclopédie méthodique, ou encore l’Histoire naturelle. Il est en effet indéniable que les images procurent une plus-value esthétique et pédagogique à un livre, en le rendant plus attrayant et donc plus apte à attirer les acheteurs et les lecteurs. Avant l’introduction des photographies, des images numériques et des infographies, la création d’images, destinées à appuyer et à compléter les définitions, était dévolue à des artistes qui, selon les cas, pouvaient être peintres, graveurs ou dessinateurs. C’est à ces hommes de l’ombre, le plus souvent méconnus du grand public, que nous allons aujourd’hui consacrer notre billet hebdomadaire.
Grâce au développement et à la modernisation des techniques d’impression et de reproduction, le XIXe siècle voit l’avènement d’un véritable âge d’or pour les illustrateurs. Dans un premier temps, la chromolithographie, qui améliore et facilite les tirages en couleurs, génère une baisse des coûts d’impression que l’éditeur peut répercuter sur le prix de vente du livre. Plus tard apparaît la technique de l’héliogravure, utilisée pour reproduire les photographies grâce à des gravures sur cuivre.
Quand Claude AUGÉ et ses collaborateurs entreprennent la réalisation du projet du Nouveau Larousse illustré (ci-dessous), ils entendent profiter des possibilités offertes par les nouvelles technologies pour proposer un dictionnaire encyclopédique abondamment illustré. C’est ainsi qu’à sa sortie l’ouvrage ne comprendra pas moins de 49 000 gravures, 504 cartes et 89 planches en couleurs.
Publié entre 1897 et 1904, le dictionnaire, qui connaît un immense succès, se déclinera sous plusieurs formats et différentes versions, amendées et actualisées au fur et à mesure : le Petit Larousse, le Larousse pour tous, le Larousse universel en 2 volumes, le Larousse du XXe siècle et le Larousse mensuel illustré, dont la publication va s’étaler de 1907 à 1957. Dans tous ces ouvrages, les illustrations (ci-dessous à gauche) sont omniprésentes, sous forme de vignettes, de cartes, de schémas, de lettrines, de frontispices et surtout de planches, dont beaucoup sont imprimées en couleurs sur une page complète, voire même parfois sur une double page (ci-dessous).
GRASSET et MILLOT, illustrateurs vedettes
En dépit de cette riche iconographie, qui sera désormais une des “marques de fabrique ” des éditions Larousse, les noms des illustrateurs ne se sont pas ancrés dans la mémoire collective, d’autant plus que, facteur aggravant, les dessins isolés ainsi que certaines planches, ne sont d’ailleurs même pas signés. Les dictionnaires spécialisés ne leur consacrent au mieux que quelques mots. C’est donc pour leur rendre hommage que nous leur dédions ce modeste billet, pour leur exprimer notre tardive reconnaissance.
Dans leur très grande majorité, ces dessinateurs nous sont aujourd’hui inconnus, mais l’un d’entre eux est néanmoins parvenu à s’extraire de l’anonymat ; il s’agit du peintre Eugène GRASSET. Représentant éminent de l’Art nouveau en France, celui-ci est passé à la postérité pour avoir conçu le fameux logotype dit de la “Semeuse”, qui figure sur la couverture du Nouveau Larousse illustré et sur celle du Petit Larousse (ci-dessous à gauche). Inspirée d’un croquis de Georges MOREAU, lui-même reprenant une idée d’Émile REIBER, cette image d’une jeune fille soufflant sur un pissenlit, dont elle disperse les akènes à tout vent, est restée, jusqu’à nos jours, le célèbre emblème des éditions Larousse. GRASSET est également l’auteur des belles lettrines (ci-dessous à droite) qui vont, sur plusieurs décennies, orner les pages des dictionnaires encyclopédiques Larousse. Ces lettres finement dessinées confèreront aux dictionnaires un cachet très “Belle Époque”, avant d’être remplacées par celles dessinées par Maximilien VOX dans le Larousse du XXe siècle.
Parmi les autres illustrateurs qui vont imposer leur style aux Larousse, un nom sort incontestablement du lot : celui d’Adolphe MILLOT. Nous ne connaissons que peu de choses sur cet artiste discret qui a excellé dans la lithographie. Tout juste sait-on qu’il est né à Paris en 1857, et qu’en 1891 il a été gratifié d’une mention honorable au Salon des artistes français. C’est pourtant à ce quasi-inconnu que nous sommes redevables des plus belles planches en couleurs qui seront longtemps reprises dans les versions successives des Larousse. Nous avons ci-dessous quelques exemples de ses superbes réalisations, qui ne sont pas sans évoquer celles qui ornent les plus belles encyclopédies d’histoire naturelle, comme le Dictionnaire universel d’histoire naturelle de Charles Henry DESSALINES d’ORBIGNY.
MILLOT se définit comme un “dessinateur d’histoire naturelle”, passion qu’il semble avoir cultivée de longue date puisque, dès 1881, il avait intégré la Société entomologique de France. Chez lui, le sens du détail et l’expressivité de dessins aux couleurs chatoyantes s’allient harmonieusement à la rigueur du botaniste et du zoologiste ; ses illustrations vivantes et attrayantes ne cessant jamais de rester les plus exactes possible d’un point de vue scientifique.
Naturaliste et artiste, en 1911 MILLOT devient professeur de dessin au Muséum national d’Histoire naturelle, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en décembre 1921.
Le monde bigarré des illustrateurs
Autre dessinateur quasi inconnu, Maurice DESSERTENNE, né à Roussillon en 1867, sera l’élève de l’un des frères ETEX, sans que l’on sache duquel il s’agit. Plus “généraliste” que MILLOT et très prolifique, il s’attaque à des sujets aussi divers que les différentes variétés de pommes et de poires, le marbre, l’Afrique du Nord, le lait, la métallurgie, l’éclairage (ci-dessous, à gauche), le bois, les costumes, les minéraux (ci-dessous, à droite), le sucre, ou encore les automobiles, la boxe, le canotage, les vitraux et le tabac.
S’il n’a guère pu les exprimer dans le Nouveau Larousse illustré, DESSERTENNE semble avoir également montré des dispositions pour l’histoire naturelle, sujet alors monopolisé par MILLOT. C’est ainsi qu’en 1906 il réalisera les illustrations des Oiseaux d’Europe du zoologiste Paul PARIS.
Plus singulier est le destin de Chéri HÉROUARD, de son vrai nom Chéri Louis Marie Aimé HAUMÉ. Né en 1881, ce dessinateur collabore à de nombreux périodiques, dont La Vie parisienne et Le Sourire, avant de se faire également un nom comme illustrateur de livres de jeunesse. Il participe à la conception du Larousse du XXe siècle, auquel il fournit des illustrations pleines d’élégance sur la danse, les travestis (ci-dessous à gauche et au centre), les coiffures, la mode et autres sujets “légers” bien en rapport avec son curieux prénom. Ce dessinateur, passionné d’histoire, signera également une très belle planche sur les armures (ci-dessous à droite).
Mais, en dehors de sa collaboration avec Larousse, la célébrité dont HÉROUARD jouit encore aujourd’hui vient de ses dessins érotiques, souvent signés du pseudonyme HERRIC. Dans ses croquis, les héroïnes se retrouvent toujours en (très) petite tenue et dans des postures suggestives, ou occupées à des jeux “coquins”. Cet illustrateur, qui poursuivra une longue carrière et décèdera en 1961, avait écrit un jour à l’un de ses amis : ” Le plus curieux dans tout ceci, c’est que je n’ai cultivé que secondairement l’art fripon, et que je suis, au tréfonds de moi-même, et totalement, médiéval. J’ai véritablement vécu entre le XIIe siècle et le XVIe siècle et, en toute sincérité, je dois reconnaître que mes satisfactions professionnelles les plus complètes m’ont été données par les planches anonymes d’archéologie que j’ai composées et dessinées pour les encyclopédies Larousse et Quillet.”
Originaire d’Eauze, le graveur et peintre Paul de LAUBADÈRE est primé au Salon des indépendants de 1888, pour une peinture historique intitulée L’Arène. Membre de la Société des artistes français, il rejoint l’équipe des illustrateurs du Nouveau Larousse illustré, au sein de laquelle cet ancien élève d’Alexandre CABANEL excellera à illustrer les thèmes consacrés à l’histoire et l’architecture. Nous lui devons des planches consacrées aux costumes à travers les âges (ci-dessous, à gauche, les habits religieux), aux civilisations passées et présentes, aux arts décoratifs, mais également à l’anatomie et à plusieurs sports tels que la canne et la lutte (ci-dessous à droite).
Signalons que LAUBADÈRE est également l’auteur d’un tableau représentant AUGÉ entouré de ses collaborateurs, œuvre actuellement exposée dans la maison-musée de l’Isle-Jourdain.
Nous allons clôturer notre galerie de portraits par celui d’un autre pilier du Larousse : Louis BOMBLED. Fils d’un peintre de batailles d’origine hollandaise et ancien élève d’Évariste-Vital LUMINAIS, quand il arrive chez Larousse il bénéficie déjà d’une solide réputation d’illustrateur de sujets militaires, grâce à des dessins parus dans L’Illustration, Le Petit Journal et le Monde illustré. Devenu un des artistes les plus productifs de l’éditeur, il réalisera des planches très détaillées sur les différents corps de l’armée, de l’artillerie aux ambulances en passant par la cavalerie (ci-dessous, à gauche), la marine de guerre, le tir, la gendarmerie, les pompiers et le génie (ci-dessous, au milieu), les uniformes (ci-dessous, à gauche) et les mines. Restées fameuses, ses planches sur la Grande Guerre (ci-dessous, à droite) seront reprises dans des manuels ultérieurs.
Pour autant, BOMBLED, soucieux de ne pas se cantonner aux thématiques strictement militaires, s’attaque à des sujets sportifs, comme le cyclisme (ci-dessous, à gauche), la natation, l’équitation (ci-dessous, au milieu) et la gymnastique ; mais il traite également des sujets plus divers comme la fabrication du savon, les attelages, les postes, les routes et chaussées, ou encore l’atelier du sabotier (ci-dessous, à droite).
BOMBLED, qui remportera une médaille d’or lors de l’Exposition universelle de 1900, poursuivra une belle carrière d’illustrateur jusqu’à son décès à Pierrefonds en 1927.
Nous ne pouvons, hélas, passer en revue tous les illustrateurs présents dans les différentes éditions du Larousse illustré, mais citons quand même quelques noms : Edward LOEVY, Henri FAUCHER GUDIN, George AURIOL, René LEBLOND, Léon Charles LIBONIS, Marius-George CARLIER, Alphonse LALAUZE, ou encore Auguste GOICHON qui assurera en quelque sorte la succession de BOMBLED sur les sujets militaires ; ainsi que les peintres de marine Alexandre BRUN et Léon HAFFNER.
L’abondance et la qualité des illustrations demeurent toujours un sujet prioritaire pour les encyclopédies Larousse, même si celles-ci sont désormais moins “foisonnantes” et de nature différente. La dernière version du Grand Larousse illustré propose 5 500 cartes, dessins, photographies, schémas et planches. Signalons enfin que, ponctuellement, la maison d’édition fait appel à des artistes contemporains pour habiller la couverture de son Petit Larousse. C’est ainsi que Christian LACROIX (2005), Titouan LAMAZOU (2006), MOËBIUS (2007) et Karl LAGERFELD (2009) ont été mis à contribution. Selon le support, la technique ou le format utilisé, félicitons-nous que le “principe fécond de l’illustration”, selon la belle formule d’AUGÉ, conserve toute sa valeur pédagogique dans les encyclopédies actuelles de Larousse !
Encore un article fort intéressant.
Merci !