Un naturaliste précoce et méconnu
L’histoire naturelle, ancêtre des futures sciences naturelles, prend définitivement son essor au XVIIIe siècle, à une époque où l’étude scientifique de la nature et du vivant alimente les réflexions du monde savant et intellectuel de toute l’Europe. Ce mouvement est amplifié par la multiplication des voyages de découverte, qui permettent d’entamer un recensement exhaustif de la faune, de la flore, des minéraux et des phénomènes naturels.
En France, le développement de l’histoire naturelle à l’époque des Lumières est associé à trois personnalités majeures : RÉAUMUR, BUFFON et JUSSIEU. La forte renommée de ces grands savants a eu malheureusement pour conséquence de maintenir dans un relatif anonymat d’autres naturalistes, qui avaient pourtant contribué de manière non négligeable au progrès de la science. Parmi ces derniers, nous allons aujourd’hui nous intéresser au naturaliste Michel ADANSON (ci-dessous) qui, par ailleurs, a été un important contributeur de l’Encyclopédie.
Descendant d’une famille écossaise jacobite réfugiée en France, ADANSON, né en 1727, suit de très brillantes études. Encore collégien, il fréquente le jardin royal et suit les cours de RÉAUMUR et JUSSIEU, qui remarquent le génie précoce de cet adolescent. Comme tous les botanistes de l’époque, il s’intéresse de très près aux travaux de Carl von LINNÉ et se met à réfléchir à des systèmes alternatifs de classification.
Il renonce à une carrière ecclésiastique à laquelle le vouaient ses parents et il décide de se consacrer entièrement à la science. Désireux de se faire un nom par un coup d’éclat, grâce à un travail inédit de grande portée scientifique, il opte pour un voyage d’études dans une contrée peu étudiée du point de vue des sciences naturelles. Son choix se porte sur le Sénégal, région dont le milieu scientifique juge le climat particulièrement insalubre et favorable aux fièvres diverses. Âgé de 21 ans, en décembre 1748, il embarque seul et à ses frais. Après avoir fait escale aux Açores et aux Canaries, il débarque quelques mois plus tard à Gorée au Sénégal et commence immédiatement à y étudier la faune, la flore, la minéralogie, les phénomènes météorologiques et les langues locales, tout en prenant soin de cartographier les contrées visitées.
Au terme d’un séjour de près de cinq années, il est de retour en France en février 1754 avec, dans ses bagages, une impressionnante collection botanique et ornithologique. Grâce au soutien financier d’un mécène, en 1757 ADANSON peut publier une relation de son voyage et un compte rendu de ses découvertes, dans un ouvrage intitulé Histoire naturelle du Sénégal (ci-dessous).
Dans ce livre, prévu pour n’être que le premier d’une série de huit volumes, notre naturaliste se consacre à la description des coquillages et des mollusques qu’il a pu étudier sur place. Jusque-là, ces animaux n’étaient appréciés que pour leurs coquilles, utilisées comme objets décoratifs ou insolites. Il complète son travail par un nouveau système de classification, qu’il imagine plus précis et plus universel que celui de LINNÉ, mais qu’il ne réussira pas, malgré son indéniable qualité, à imposer à la communauté scientifique. Malheureusement pour lui, l’ouvrage ne rencontre pas le succès escompté et, comble de malchance, son éditeur faisant faillite, c’est à lui qu’incombe la charge de rembourser les souscripteurs.
Malgré ces revers, ADANSON, reconnu par ses pairs, rejoint les rangs de l’Académie des sciences. Conforté par le soutien sans faille de JUSSIEU, il travaille au classement de sa collection, tout en peaufinant son système de taxinomie. Après une description très remarquée du baobab, il publie en 1763 un ouvrage intitulé Familles des plantes (ci-dessous), dans lequel il fait la démonstration de sa nouvelle nomenclature des végétaux fondée sur 65 critères d’où découlent 58 familles de plantes.
Adanson dans l’aventure encyclopédique
L’expertise d’ADANSON lui vaut d’être une recrue de choix pour les libraires qui sont en train de constituer une équipe qualifiée pour la rédaction des Suppléments à l’Encyclopédie, dont les quatre volumes seront publiés entre 1776 et 1777.
Ni BUFFON, qui s’était pourtant engagé à écrire l’article Nature avant de se brouiller avec DIDEROT, ni RÉAUMUR, accaparé par le projet des Descriptions des arts et métiers, ne participent à l’aventure de l’Encyclopédie de DIDEROT et d’ALEMBERT. En revanche, c’est un autre éminent naturaliste, proche collaborateur de BUFFON, Louis Jean-Marie DAUBENTON, qui est le principal rédacteur des articles sur l’histoire naturelle. Plus de 900 articles de l’Encyclopédie lui sont attribués, ce qui fait de lui un des plus grands contributeurs du projet.
À ses côtés, ADANSON rédige pour les Suppléments (ci-dessous le troisième tome) entre 400 et 450 articles, dont 250 au moins sur les végétaux exotiques et une centaine sur l’ichtyologie. Ses articles, soignés et complets, lui donnent l’occasion de faire étalage de ses vastes connaissances, au point de conduire parfois ses commanditaires à lui demander de réfréner son érudition foisonnante.
Un projet démesuré
Mais, tout en rédigeant ses articles pour l’Encyclopédie, ADANSON poursuit un grand dessein : réaliser sa propre encyclopédie, méthodique et universelle, où il ferait la synthèse exhaustive des connaissances sur l’étude du monde animal et végétal.
Dans cette perspective, il a entrepris depuis plusieurs années de réunir une très vaste documentation. En 1775, il présente son projet à ses collègues de l’Académie des sciences sous la forme, peu conventionnelle, d’un Plan et tableaux de mes ouvrages manuscrits et avec figures, depuis l’an 1771 jusqu’en 1775, distribués selon une méthode naturelle découverte au Sénégal en 1749.
Sa somme encyclopédique est supposée se répartir en plusieurs ouvrages différents. Le premier d’entre eux, intitulé Ordre universel de la nature, ou Méthode naturelle comprenant tous les êtres connus, leurs qualités matérielles et leurs facultés spirituelles, suivant leur série naturelle, indiquée par l’ensemble de leurs rapports est prévu pour constituer le cœur de son ouvrage et occuper 27 gros volumes. Ce titre doit être complété par la série des huit volumes de son Histoire naturelle du Sénégal, suivie d’un Cours d’histoire naturelle, d’un Vocabulaire universel d’histoire naturelle devant servir de base à l’ordre universel, puis d’un recueil de 40 000 figures de 40 000 espèces d’êtres connus, et enfin d’une Collection de 34 000 espèces d’êtres conservés dans mon cabinet.
Ce projet pharaonique, qu’ADANSON prétend pouvoir réaliser seul, laisse ses collègues pour le moins très circonspects. Au savant qui espérait pouvoir obtenir appuis et financements pour mener cette entreprise à bien, ces derniers suggèrent de s’attaquer à des projets plus novateurs plutôt qu’à une vaste compilation d’éléments déjà connus.
Malgré cet échec, il continue jusqu’à sa mort à poursuivre ses recherches et à rédiger un nombre considérable de manuscrits destinés à alimenter une encyclopédie du vivant, qu’il croit pouvoir publier mais qui finalement ne verra jamais le jour. En effet, à la Révolution, ADANSON, privé de ses fonctions et de ses pensions, sombre dans un complet dénuement. Sa santé se dégrade et il décède le 3 août 1806, sans avoir jamais cessé de travailler à son livre.
Notre encyclopédiste – à double titre, d’abord pour ses contributions aux Suppléments puis pour son projet avorté – n’a connu aucune renommée posthume et sa tombe au cimetière du Père-Lachaise semble n’avoir fait l’objet d’aucune dévotion particulière. En son temps, la valeur de son travail sera malgré tout reconnue par une nouvelle génération de naturalistes, dont Georges CUVIER et Jean-Baptiste de LAMARCK.