Les encyclopédies « ornementales »
Ceux qui ont grandi dans les années 70 et 80 se souviennent certainement que, en visite chez des parents ou des amis, ils étaient accueillis dans le hall d’entrée, et/ou dans le salon, par une longue bibliothèque particulièrement mise à l’honneur. Beaucoup de gens, en plus de leurs livres personnels, garnissaient alors leurs vastes étagères d’encyclopédies en plusieurs volumes. Généralement, il s’agissait d’éditions originales achetées par correspondance, par souscriptions, ou même par l’intermédiaire de représentants spécialisés dans le porte-à-porte. Le plus célèbre exemple de ce type d’ouvrages est, incontestablement, la fameuse Encyclopaedia universalis, mais d’autres titres étaient présents dans les foyers, tels que le Mourre, l’Encyclopédie générale Hachette, l’Encyclopédie Bordas ou des séries thématiques, comme La Grande Histoire de la peinture, La France et ses trésors, Connaissance et vie, etc. ; la très longue liste variant en fonction des pôles d’intérêt de chacun.
Dans la mosaïque bigarrée de reliures en cuir à l’ancienne, en skivertex ou en similicuir, qui courait le long des murs, le regard pouvait être attiré par des volumes rouge vif – certains recouverts d’une jaquette bleue et rouge – appartenant à une série gratifiée d’un titre accrocheur et riche de promesses : Tout l’univers.
La genèse de cet ouvrage, qui a longtemps orné d’innombrables intérieurs en France, est à rechercher de l’autre côté des Alpes, l’idée en revenant à la maison d’édition milanaise Fratelli Fabbri Editori, fondée par deux frères, Giovanni et Dino FABBRI. À la fin de la guerre, ces derniers avaient déjà réussi un beau coup éditorial en publiant un cours d’apprentissage de la langue anglaise. En Italie, cet ouvrage était vendu par tranches dans les kiosques à journaux d’un pays où l’on en dénombrait plus de 20 000 après la guerre. Les FABBRI vont rapidement se démarquer des éditeurs concurrents, en proposant des textes richement illustrés à l’aide du procédé offset. Avec un sens aiguisé du marketing et de la publicité, ils publient des recueils, des manuels scolaires et des petites encyclopédies éducatives, finissant par voir leur production devenir hégémonique dans le domaine des ouvrages destinés aux lycéens. Dans le même temps, les deux frères développent des collections de livres pour enfants distribués en fascicules périodiques.
Entrepreneurs à succès, les FABBRI font aussi le constat que, si la Constitution de 1948 précise que ” l’instruction inférieure [primaire et collège], d’une durée d’au moins huit ans, est obligatoire et gratuite”, le coût des manuels, encore trop élevé dans les régions déshéritées, constitue un frein à la généralisation du principe constitutionnel. Dynamiques et imaginatifs, nos éditeurs décident alors de prendre contact avec le ministre de l’Éducation Giuseppe ERMINI, pour lui proposer de diffuser des manuels officiels en plusieurs livraisons, par le truchement des libraires et des marchands de journaux. Cette solution aurait permis d’étaler les dépenses dans le temps et de les rendre plus supportables aux foyers financièrement très limités. Autre intérêt à ce mode de diffusion : susciter chaque semaine l’intérêt renouvelé des écoliers en attente d’une nouvelle livraison. Toute une équipe est mobilisée pour présenter un projet viable mais, après réflexion, le ministre décline finalement cette proposition pour le moins originale.
Le succès de CONOSCERE
Le projet ne se solde pourtant pas par un échec complet, car les FABBRI vont habilement rebondir en l’orientant vers une autre finalité : produire une encyclopédie jeunesse illustrée selon le même principe, et distribuée par le même canal de distribution. Cet ouvrage en kit est alors pensé comme un complément parascolaire destiné à séduire les familles qui n’ont pas la possibilité d’aider leurs enfants dans les matières enseignées. Cette encyclopédie finit par s’imposer comme un incontournable outil pédagogique complémentaire à l’école. Baptisée Conoscere (Savoir), son élaboration se fait en collaboration avec le corps professoral.
Les premiers fascicules, publiés dès 1958, sont destinés à être insérés au fur et à mesure dans un classeur noir vendu séparément. Les articles, dont le sujet change chaque semaine, sont volontairement brefs – une ou deux pages -, afin de constituer un résumé synthétique. Ils ne visent pas l’exhaustivité mais, rédigés dans un langage clair accessible à tous, ils s’adressent aussi bien aux écoliers qu’à leurs parents. Le succès de ces brochures en couleurs (ci-dessous, un exemplaire de 1960), vendues à prix modique, est immédiat. Les tirages hebdomadaires atteignent des chiffres inespérés, comparables à ceux de la presse nationale. Pour faire face à la demande, la formule évolue, devenant annuelle, avec des couvertures de couleurs différentes (rouges, puis bleues, jaunes et vertes). La sixième et dernière version, datée de 1963, ne comprendra pas moins de 202 dossiers avec, en option, 17 disques, 4 dictionnaires et deux cours de langues. Dans les années 70 et 80, la série sera rééditée en volumes reliés.
Incontestable réussite commerciale, la renommée de l’ouvrage interpelle des éditeurs étrangers, intrigués par l’irruption sur le marché de ce nouveau produit. Certains d’entre eux hésitent à l’imiter, craignant de concurrencer leur propre offre en termes d’encyclopédies ; mais d’autres franchissent le pas en adoptant le modèle italien, à l’image de la société Purnell & Sons qui, en janvier 1961, lance Knowledge, présenté comme “le nouveau magazine couleur qui se transforme en encyclopédie”. Dans les années 60 et 70, Conoscere va se voir décliné en plusieurs langues, tels le portugais, l’afrikaans, le turc, l’hébreu, l’arabe, l’espagnol, l’allemand et, bien sûr, le français.
En France, c’est la grande maison d’édition Hachette qui signe un accord avec les FABBRI pour reprendre la collection sous le nom de Tout l’univers. Une structure baptisée ODEJ est créée par les associés pour piloter la nouvelle publication, dont la direction est confiée à un personnage habile et compétent : Armand BERESSI. Ci-dessous, ce film d’actualités italien relate, en octobre 1961, la présentation du premier fascicule en grande pompe au palais de Chaillot.
Le système de vente est calqué sur celui pratiqué en Italie. Comme au-delà des Alpes, les fascicules (quelques exemples ci-dessous) parus le mercredi sont destinés à être insérés au fur et à mesure dans un classeur. Les sujets traités sont toujours en lien avec les grandes matières scolaires – histoire, sciences naturelles, sciences physiques, français -, mais aussi tout ce qui se rapporte à la culture générale : art et littérature, techniques, médecine, économie, musées remarquables, sport, etc. Cette publication vise à servir de support à l’enseignement prodigué à l’école, mais aussi à aiguillonner la curiosité du lecteur et à élargir le spectre de ses domaines de connaissance.
Voici un échantillon de différents articles, qui nous permet de constater la très grande variété des thèmes abordés : Voies et ponts romains ; Henri Schliemann ; Les chasseurs dans la neige de Pierre Breughel ; Les rayons cosmiques ; L’appareil rénal ; Petite Histoire du jouet ; La reproduction des végétaux ; Les mouvements de la Terre ; Technicolor, cinémascope, cinérama ; Schönberg et l’école de Vienne ; Matériaux de construction ; Le boa et ses digestions fatales ; Les sports de neige et de glace ; La flore des Alpes ; Au musée d’Histoire de la médecine de Rome ; Énigmes archéologiques ; Jules Verne, maître du roman scientifique ; Le Ghana ; Grands Barrages de France ; Petits Animaux des bois ; Villes mortes des Incas ; ABC du secourisme ; Comment naît un film ; Les îles bretonnes ; Le cerveau, anatomie ; etc.
Le contenu scientifique, souvent très résumé, est irréprochable, mais ce sont surtout les belles illustrations, omniprésentes dans chaque article, qui vont contribuer pour beaucoup à la réussite commerciale et à l’accueil favorable que connaîtra cette nouvelle encyclopédie jeunesse, qui trouve d’emblée son public dans la tranche des 10-17 ans. Comme nous pouvons le constater ci-dessous dans les planches consacrées aux singes platyrrhiniens et à l’anatomie du chat, le dessin est soigné, pédagogique et rehaussé de couleurs vives, ce qui n’est pas sans rappeler aux plus anciens d’entre nous les grandes affiches et cartes scolaires qui ont précédé le règne des rétroprojecteurs et des écrans.
Autres exemples avec le phénomène du volcanisme et la littérature japonaise.
Au fil des années, la photographie, en noir et blanc puis en couleurs, occupera une place grandissante, même si le dessin, marque de fabrique de la revue, reste privilégié.
Devenu une revue familière des kiosques à journaux et des maisons de presse, Tout l’univers ne cessera de se développer au fil d’éditions successives. À partir d’octobre 1971, la version rouge, basée en grande partie sur des rééditions et le recyclage d’invendus, est lancée. Pendant près de cinq années, 240 numéros se succèderont, proposant, outre les articles habituels, des versions en bandes dessinées des classiques de la littérature. Dès que cesseront les parutions hebdomadaires, le grand public aura accès à une encyclopédie reliée dont la parution s’échelonnera jusqu’en 1979. Dotée de la fameuse couverture rouge, elle compte 18 volumes et un index. Elle s’écoulera en plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, donnant l’occasion à de nombreux démarcheurs et agents commerciaux de faire la démonstration de leurs talents de vendeurs.
Le déclin d’un modèle
Devenue un classique chez de nombreux particuliers, cette encyclopédie généraliste grand public, le temps passant, finira par souffrir de la disgrâce qui, progressivement, touchera toutes les séries de livres pédagogiques et encyclopédiques reliés. Composés de plusieurs volumes de grand format, ces ouvrages pâtissaient déjà de leur encombrement. Mais la cause principale de leur déclin viendra plutôt du fait que, dans le fond comme dans la forme, le modèle est devenu daté, pour ne pas dire démodé et, pour tout dire, obsolète. Pour tenter de pallier ce défaut, les éditions Hachette, au virage du numérique, lancent, en 1997, en parallèle à une version papier, une version actualisée en 20 C.D.-ROM. En 2001, Tout l’univers devient accessible sur Internet, moyennant un abonnement payant. Face à la rude concurrence des autres encyclopédies en ligne, et surtout à l’avènement de Wikipédia et consorts, dont la gratuité est un avantage décisif, le site, peu à peu négligé, ferme en 2015.
On pourrait penser que le destin de cette encyclopédie, qui se retrouve parfois chez les bouquinistes mais bien plus souvent sur les sites de vente de produits d’occasion en ligne ou dans les vide-greniers à des prix modiques, était scellé. Pourtant, elle fait un retour inattendu en 2016, lorsque l’éditeur historique relance Tout l’univers, cette fois sous forme de livres au format album.
Vendue en kiosque ou par abonnement, la collection, riche de 80 volumes et organisée en neuf thématiques (Plantes et animaux ; L’homme et son environnement ; Pays du monde ; Art et sociétés ; etc.), revendique plus de 10 000 illustrations en tous genres. La formule retrouvant un public, l’opération est réitérée en 2021 et en 2024, le premier tome faisant à sa sortie l’objet d’un prix promotionnel très attractif et d’une intense campagne publicitaire. Véritable survivant des encyclopédies papier, Tout l’univers ne semble toujours pas avoir dit son dernier mot !
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