La création des “villages du livre”
Au cours d’un trajet sur les routes de France, il est probablement arrivé au bibliophile que vous êtes de “tomber” sur une localité estampillée « village du livre ». Vous n’avez certainement pas manqué de vous y rendre, parfois au prix d’un long détour imprévu, pour une visite qui s’est inévitablement conclue par une moisson de bouquins. La création de tels lieux dédiés au livre a redynamisé bien des bourgs assoupis, leur permettant de rompre avec leur désertification commerciale. Associée à une volonté de réaménagement et d’embellissement urbain, la décision d’adhérer au club des villages du livre a rendu attractives des communes situées, la plupart du temps, à l’écart des grands axes.
La formule de villages dédiés au livre a fait florès un peu partout en Europe et dans le monde, mais c’est de l’autre côté de la Manche qu’il faut chercher le berceau originel d’une bien belle idée, qui a été mise en pratique pour la première fois dans un paisible village gallois du nom de Hay-on-Wye. Située à une cinquantaine de kilomètres au nord de Cardiff, la bourgade est traversée, comme son nom l’indique, par la rivière Wye qui, sur une grande partie de son trajet, fait office de frontière avec l’Angleterre. Cette localisation stratégique explique la présence de deux forteresses érigées à l’époque médiévale. La plus importante des deux sera acquise, en 1961, par un jeune homme du nom de Richard BOOTH (ci-dessous), qui va devenir le héros central de notre billet du jour.
BOOTH, le châtelain bibliophile
Né à Plymouth en 1938, BOOTH passe une partie de son enfance à Brynmelyn Estate, un manoir néogothique proche de Hay, dont son père, militaire de carrière, avait hérité. Il étudie ensuite à la prestigieuse Rugby School puis au Merton College d’Oxford. À la fin de son cursus, il devient comptable, mais quitte la profession au bout de trois semaines seulement, estimant que ce métier et l’univers des grandes villes ne sont pas faits pour lui. De retour au pays de Galles, où il a hérité de la demeure familiale, il constate avec regret que les jeunes du village ne cessent de partir vers d’autres cieux, vidant peu à peu Hay de ses forces vives. Dès lors, pour contribuer à redynamiser l’endroit, il se tourne vers une passion contractée durant sa jeunesse et qui ne l’a jamais quitté : celle des livres. L’idée d’ouvrir une librairie de livres d’occasion à Hay-on-Wye fait son chemin dans la tête du jeune homme qui, finalement sans trop d’hésitation, se lance dans l’aventure.
Cette année-là, notre châtelain acquiert un ancien local de pompiers, dans lequel il ouvre, en 1962, sa première librairie baptisée The Old Fire Station, ainsi que le fameux château – en partie ruiné après un incendie – lequel, dans un premier temps, va lui servir d’entrepôt avant d’abriter par la suite un deuxième magasin spécialisé dans les “beaux livres”. Cultivant volontiers une réputation d’excentrique et doté d’un sens inné de la communication et de la publicité, il sait que d’emblée il se doit de frapper fort pour attirer les projecteurs sur lui et marquer les esprits. Il réunit donc un fonds considérable de livres “de seconde main”, faisant venir des stocks de Grande-Bretagne et même des États-Unis. Il guette les liquidations de distributeurs en faillite, les ventes en gros organisées par les établissements scolaires, les librairies, les bibliothèques publiques ou privées, les clubs ouvriers, les particuliers désireux de faire de la place suite à une succession, voire même les monastères, les châtelains désargentés et les institutions. Peu regardant sur la qualité ou la rareté des ouvrages, il tient avant tout à proposer une offre quantitativement importante, pour attirer un public large et varié qui va du bibliophile “pointu” au simple curieux ou au touriste de passage susceptible de céder à un achat impulsif.
En un temps assez court, BOOTH réunit un volume considérable de livres. En 1968, il déclare qu’il détient un stock de 400 000 ouvrages et qu’il en achète 600 000 par an. Il n’hésite pas alors à revendiquer – haut et fort comme il se doit – le privilège d’avoir ouvert “la plus grande librairie de livres d’occasion du monde”. De plus, son offre très diversifiée est associée à une politique de prix très bas et ce, toujours dans le même but : attirer le plus de monde possible au village. À l’époque, BOOTH résume ainsi sa démarche sous forme de boutade : “Je préfère vendre un million de livres à 1 £ qu’un livre à un million de £.” L’opération ne pouvant donc être économiquement viable qu’avec la présence d’un flux continu de visiteurs, son pari consiste à “capter” une partie des touristes venant visiter le pays de Galles, et faire ainsi de Hay-on-Wye une étape incontournable de la découverte de la région, en particulier du parc naturel des Brecon Beacons, dont la localité est située à l’une des entrées.
Le plan de BOOTH, qui paie de sa personne et devient un personnage médiatique, fonctionne, et bientôt le Royaume-Uni tout entier apprend l’existence de ce village. Le succès est au rendez-vous, ce qui permet à notre bouquiniste de choc d’acheter d’autres locaux, dont le cinéma, un atelier et une chapelle, pour y ouvrir d’autres boutiques. Grâce à l’impulsion donnée par le libraire, la bourgade connaît une véritable renaissance, d’autant plus que d’autres libraires y ouvrent à leur tour d’autres boutiques. Hay-on-Wye se trouve alors affublée de divers surnoms, tels “Book Town”, “Book Capital of the Uk”, ou encore “The Town of Books”.
“RICHARD cœur de livre”
À la suite d’un pari lancé dans un pub, BOOTH déclare l’indépendance du village le 1er avril 1977 et, dans la foulée, s’autoproclame “roi de Hay” sous le nom de “Richard Cœur de Livre”. Vous trouverez ci-dessous la photo officielle de sa majesté, sur la couverture d’une autobiographie publiée en 1999 et intitulée My Kingdom of Books.