Cléopâtre, une souveraine mythique
Célébrée pour son raffinement et son goût pour l’esthétique, l’Égypte pharaonique a porté un intérêt très marqué à l’art des soins du corps et du maquillage, en recourant à la cosmétologie, terme issu du grec Kosmètikos signifiant “manière d’arranger harmonieusement son apparence“. Associés à une hygiène irréprochable et à une riche parure, les préparations et les traitements cosmétiques ont pour finalité première d’entretenir et d’exalter la beauté physique d’un corps, qui occupe une fonction primordiale dans les croyances religieuses. Dans la mythologie égyptienne, le dieu HORUS, après avoir perdu un œil au combat, se maquille pour restaurer son intégrité physique. Ce souci de perfection esthétique, loin d’être de pure vanité, prend la forme d’un principe quasi philosophique chez les Égyptiens, pour qui l’enveloppe corporelle doit être préservée pour le voyage dans l’au-delà. L’Égypte va donc particulièrement exceller dans l’art des fards, onguents, parfums, crèmes et autres baumes et lotions, sans oublier les accessoires, dont les fameuses perruques.
Destiné à préserver jeunesse et beauté du corps, tout cet attirail de soins et d’accessoires revêt également une fonction thérapeutique, pour ne pas dire pharmacologique. Le mesdemet, célèbre khôl antique devenu l’élément indissociable de l’élégance égyptienne, est utilisé dans toutes les classes sociales, aussi bien par les femmes que par les hommes. Ce produit cosmétique n’a pas pour seule fonction de souligner le regard – parfois de manière très recherchée lorsqu’il est associé à des fards à paupières colorés -, mais aussi de protéger les yeux de l’éblouissement et de la poussière, et d’éviter les infections grâce à son pouvoir antibactérien. D’autres onguents et huiles permettent de repousser les moustiques et de conjurer l’effet des rayons du soleil sur la peau. La composition des produits cosmétiques repose sur une large palette d’ingrédients d’origine minérale (argile, malachite, alun, etc.), végétale (racines, épices, baies, fleurs, céréales, résines, etc.) ou animale (graisse, cire d’abeille, miel, etc.). Une partie de ces préparations, destinées à des fumigations ou à la toilette des statues de divinités, revêtent une signification rituelle et purificatrice. Réputée bien au-delà de ses frontières, la cosmétologie est donc loin de n’être qu’une activité futile ou anecdotique dans l’Égypte ancienne. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner outre mesure que CLÉOPÂTRE, la plus célèbre de ses souveraines, lui ait consacré un traité baptisé Kosmètikon.
Septième reine à porter ce nom, elle est issue de la dynastie macédonienne des Lagides, dont les souverains vont bientôt reprendre le titre de pharaon. Par ses origines et son éducation, elle appartient à la culture hellénique, dont Alexandrie, sa capitale, constitue alors un des grands pôles intellectuels. CLÉOPÂTRE a pris soin, dès sa jeunesse, d’apprendre la langue égyptienne – elle est la seule descendante des Ptolémées à l’avoir fait -, et peut-être même l’écriture hiéroglyphique. Allant plus loin que ses prédécesseurs dans sa vénération des divinités grecques et égyptiennes, la reine est ainsi le fruit d’un “syncrétisme” entre les deux civilisations.
Au cours des siècles, les auteurs romains, se faisant les agents et les relais de la propagande impériale, ont forgé une “légende noire” pour discréditer la dernière reine issue d’une dynastie marquée par les meurtres et les scandales. Sous leur plume, CLÉOPÂTRE devient une intrigante, une séductrice manipulatrice à la libido débridée, une sorcière qui a su prendre CÉSAR et MARC-ANTOINE dans ses filets, tout en se débarrassant de sa sœur et de ses deux “frères-époux”. Pourtant, ces mêmes détracteurs ont également mis en avant sa beauté et l’attention qu’elle mettait à soigner son apparence et entretenir son corps. Ce trait de caractère se retrouve dans l’anecdote légendaire qui relate son bain quotidien dans le lait de 700 ânesses.
Au-delà de ses charmes et de l’utilisation politique et stratégique dont elle a pu user, les ennemis et les calomniateurs de CLÉOPÂTRE ne peuvent nier son intelligence et sa très grande culture. À l’égal de ses frères, elle a suivi les cours de précepteurs qui l’ont dotée d’une solide instruction. Polyglotte, il semble qu’elle maîtrise, en plus du grec, du latin et de l’égyptien, l’éthiopien, l’araméen, le mède et sans doute l’hébreu. Femme de pouvoir faisant preuve d’une grande détermination pour sauvegarder son trône et l’autonomie d’un pays placé sous la tutelle de Rome, la reine se double d’une intellectuelle. Elle s’intéresse aux sciences, à la médecine, et vit entourée d’érudits. Si une homonymie lui a valu d’être créditée à tort pendant des siècles d’un texte dédié à l’alchimie, la tradition lui attribue la rédaction de plusieurs traités : un consacré à la métrologie, un autre à la gynécologie, et enfin le fameux Kosmètikon qui va faire l’objet de ce billet.
Kosmètikon, un traité de beauté
Ce recueil est encore aujourd’hui bien mystérieux, car aucun exemplaire complet ne nous est parvenu ; nous n’en avons connaissance qu’indirectement, par des citations et des extraits. La première mention de l’ouvrage se trouve dans un texte de GALIEN De compositione medicamentorum secundum locos (De la composition des médicaments selon les lieux). Ce célèbre médecin grec, qui a vécu au second siècle de notre ère, y recense plusieurs recettes de produits de beauté. Il précise que “CRITON a rassemblé tous les remèdes de CLÉOPÂTRE” pour écrire son propre livre, Kosmètika, attestant ainsi qu’un ouvrage attribué à l’ancienne reine d’Égypte circulait à l’époque de CRITON, celle de l’empereur TRAJAN. Mais il faudra attendre plusieurs siècles pour que la trace du livre se retrouve dans les écrits de deux médecins byzantins : AÉTIOS d’AMIDA et PAUL d’ÉGINE.
Au total, ce sont vingt-quatre remèdes qui nous ont été transmis. Dix-neuf d’entre eux traitent des cheveux et du cuir chevelu. On y trouve des soins capillaires pour lutter contre les pellicules et l’alopécie, laquelle, à elle seule, fait l’objet de treize traitements, ainsi que des méthodes de coloration et de frisage. Cinq autres préparations destinées à la dermatologie ont pour but de favoriser la cicatrisation et de soigner dartres, boutons et eczéma. Les ingrédients de ces préparations sont essentiellement végétaux (lupin, huile d’olive, gui, jusquiame, myrte, acore, etc.), mais ils sont mélangés à des matières qui nous surprennent, comme des crottes de souris, de l’urine, des dents de cheval, de la moelle de cerf, de la graisse d’ours, ou encore des mouches. L’avenir nous dira si la découverte d’un papyrus ou d’un manuscrit oublié nous permettra de reconstituer plus complètement cette liste de recettes.
Le mystère du Kosmètikon
Si son existence semble bien établie, une question demeure : Est-ce vraiment CLÉOPÂTRE, la célébrissime reine d’Égypte, qui l’a rédigé ? Bien entendu, les hypothèses sont nombreuses. Il pourrait s’agir, comme pour le traité d’alchimie déjà cité, d’une femme médecin homonyme. Une spécialiste a ainsi souligné le fait que GALIEN ne rappelait pas son titre royal quand il la citait, indice qui pourrait indiquer qu’il parlait d’une autre personne. Autre possibilité, il pourrait s’agir de l’œuvre d’un auteur anonyme, qui l’aurait fait passer pour un texte de l’illustre souveraine. Enfin, rien ne permet réellement d’écarter l’éventualité que la reine d’Égypte en soit bien l’auteur, qu’elle l’ait rédigé de sa main ou par l’intermédiaire d’un scribe. Le mystère demeure mais, quoi qu’il en soit, CLÉOPÂTRE reste toujours dans les esprits contemporains une référence en matière de soins corporels et de secrets de beauté. Après tout, pour ses admirateurs, peu importe que la légende ait pu prendre le pas sur la vérité historique !
Pour aller plus loin, nous vous renvoyons vers Le dossier des ouvrages médicaux attribués à Cléopâtre, de Marie-Hélène MARGANNE, et Édition, traduction et commentaire des fragments grecs du kosmètikon attribué à Cléopâtre (ci-dessous), d’Anne-Lise VINCENT.
Si vous voulez élargir vos connaissances sur les recettes de beauté dans l’Égypte antique, nous vous conseillons de visionner la vidéo ci-dessous







