Français (langue), Lexicographie

Dictionnaire françois

contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, ses expressions propres, figurées et burlesques, la prononciation des mots les plus difficiles, le genre des noms, le régime des verbes. Avec Les termes les plus connus des arts & des sciences, le tout tiré de l'usage et des bons auteurs de la langue françoise

Auteur(s) : RICHELET César Pierre

 à Genève, chez Jean Herman WIDERHOLD
 édition originale
  1680
 1 vol. (88-480-560 p.)
 In-quarto
 veau brun, dos à cinq nerfs, caissons ornés de motifs dorés, armoiries dorées non identifiées imprimées à froid sur les plats
 lettrines ornées, bandeaux décoratifs, culs-de-lampe


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Avec le livre de RICHELET, nous sommes en présence d’un ouvrage fondateur de la lexicographie française, puisqu’il s’agit tout simplement du premier véritable dictionnaire monolingue de la langue française. Si les ouvrages de la famille ESTIENNE ou de NICOT ont été des précurseurs incontestables, le latin y était encore omniprésent, comme langue “originelle” de référence. Dans l’histoire de la lexicographie, il y aura donc un avant et un après Dictionnaire françois, de sorte que tous les ouvrages qui suivront lui seront inévitablement comparés.

Originaire de Champagne, César-Pierre RICHELET monte à Paris en 1661 pour s’y installer en tant qu’avocat. Fort du soutien et de la protection de Nicolas FRÉMONT d’ABLENCOURT et de Nicolas PERROT d’ABLANCOURT, il se trouve rapidement introduit dans le milieu littéraire et intellectuel de la capitale. Délaissant bientôt la pratique du droit, il apprend diverses langues anciennes et donne des cours de français à des étrangers. Il entame ensuite avec succès une carrière de traducteur et publie en 1667 un Dictionnaire de rimes, qui est en fait une adaptation de celui de FRÉMONT d’ABLANCOURT.

Lors d’une rencontre décisive pour son avenir, il se lie d’amitié avec Olivier PATRU, qui lui permet d’assister à des séances de l’Académie française. Cet éminent académicien se désole de l’extrême lenteur de ses collègues dans l’élaboration d’un dictionnaire. Alors que l’Italie s’est dotée en 1612 d’un dictionnaire national, le même projet semble marquer le pas en France. La mission principale, fixée à l’Académie dès sa fondation, était de réaliser un dictionnaire de la langue française. Mais ce projet demeure inachevé depuis des décennies car, déjà divisés par des querelles de personnes et des luttes intestines, les académiciens se déchirent aussi sur la méthode à adopter, et se partagent en clans irréconciliables, ce qui paralyse l’avancement du travail.

Autour de PATRU se forme un cénacle d’académiciens et d’écrivains, dont le père BOUHOURSRené RAPIN et François de MAUCROIX, qui sont bien décidés à hâter les choses en entreprenant eux-mêmes la rédaction d’un dictionnaire concurrent. Sans que nous connaissions tous les détails de l’affaire, il semble que la direction et l’élaboration du projet échoient à RICHELET, assisté de François CASSANDRE. Simultanément, un autre projet de dictionnaire monolingue voit le jour, porté cette fois par l’académicien Antoine FURETIÈRE, lui aussi exaspéré par l’inertie de ses pairs.

La rédaction du Dictionnaire françois, en grande partie le fruit d’un travail collectif, se déroule sans accroc notable entre 1677 et 1679. Mais sa parution se heurtera dès l’origine à un problème majeur. En effet, selon une lettre royale du 26 juin 1674, le privilège exclusif de publier un dictionnaire de référence de la langue française est réservé à l’Académie. Pour contourner cet obstacle et éviter l’interdiction et la saisie, la solution consiste à le faire imprimer à l’étranger. RICHELET parvient à obtenir un financement conséquent de la part de Ferdinand von FÜRSTENBERG, évêque de Paderborn, futur dédicataire du dictionnaire et connu pour être un généreux mécène des arts et des lettres. Puis RICHELET contacte un libraire genevois d’origine allemande, Jean Hermann WIDERHOLD. Celui-ci, déjà expérimenté dans l’édition de dictionnaires, dispose d’une imprimerie installée dans son château de Duillier. À la fin de l’année 1679 ou au début de l’année 1680 – ce qui explique que l’on trouve souvent la mention 1679/1680 pour dater le livre -, le Dictionnaire françois sort des presses en deux parties réunies dans un seul volume.

Reste l’obstacle le plus difficile à franchir : faire distribuer clandestinement les livres en France… C’est alors que l’affaire connaît quelques déboires. En effet, WIDERHOLD réussit à faire parvenir 1500 exemplaires à Villejuif. Mais, suite à une indiscrétion du libraire Simon BERNARD et à sa dénonciation auprès du syndic, tous les ouvrages sont saisis puis brûlés. La légende veut que ce coup dur ait entraîné la mort prématurée de WIDERHOLD trois jours plus tard, suivie de celle de BERNARD le lendemain, poignardé par un inconnu. Mais, malgré ces événements dramatiques et une interdiction de principe qui perdurera, le dictionnaire de RICHELET s’avérera être un véritable succès, au grand dam de l’Académie, humiliée de se voir ainsi devancée. L’affront sera aggravé lorsque quatre ans plus tard, à titre posthume, FURETIÈRE publiera à son tour en Hollande un extrait de son propre dictionnaire.

Dans le dictionnaire de RICHELET, la structure des définitions se présente de manière simple, pour ne pas dire classique, sans longues considérations étymologiques, même si ponctuellement l’auteur donne des indications sur la prononciation. En revanche, il fait le choix d’une simplification orthographique, qui constituait un éternel sujet de discorde entre les Anciens et les Modernes. À contre-courant d’Eudes de MÉZERAY, qui déclarait que l’Académie devait préférer l’ancienne orthographe, qui distingue les gens de Lettres d’avec les Ignorants et les simples femmes, RICHELET préconise au contraire de rapprocher l’orthographe des mots de leur prononciation : Touchant l’orthographe, on a gardé un milieu entre l’ancienne, & celle qui est tout à fait moderne, & qui défigure la langue.  On a seulement retranché de plusieurs mots les lettres qui ne rendent pas les mots méconnoissables quand elles en sont ôtées, & qui, ne se prononçant point, embarassent les étrangers et la plus-part des provinciaux. On a écrit avocat, batistère, batême, colère, mélancolie, plu, reçu, tisanne, trésor, & non pas advocat, baptistère, baptême, cholère, mélancholie, pleu, receu, ptisanne, thrésor.”

Dans le même ordre d’idées, il supprime les lettres doubles lorsque celles-ci n’influent pas sur la prononciation, choisissant ainsi d’écrire afaire, ataquer, dificulté. Le es qui se prononce é, est systématiquement remplacé, desdain devenant dédain, respondre faisant place à répondre, etc. Il en va de même pour le s muet qui sert à signaler une syllabe longue comme dans apostre, jeusne et tempeste, mots dans lesquels il est remplacé par l’accent circonflexe. Ces questions d’orthographe ne lui paraissant pas d’une priorité absolue, il laisse chacun juge de son choix, écrivant : “Je ne prétens prescrire de loix à personne.”

L’autre grande spécificité du dictionnaire est que son auteur s’est abondamment servi de citations d’auteurs anciens et contemporains pour illustrer les définitions. Dès l’origine de l’Académie, la question d’utiliser des exemples piochés dans des œuvres existantes, ou de ne recourir qu’à des exemples “forgés”, donc “neutres”, avait beaucoup animé les débats de l’Académie. Malgré la tentative de Jean CHAPELAIN, la proposition de recourir à des citations est rejetée. Mais beaucoup d’académiciens, au nombre desquels PATRU lui-même, jugeaient que ce parti pris était regrettable, la citation étant le meilleur moyen de démontrer le “bon usage” du mot dans la langue contemporaine. Il n’en reste pas moins que, dans l’ouvrage, beaucoup de citations, placées entre crochets, sont anonymes ou constituées d’exemples forgés.

RICHELET était-il animé par le souci de provoquer l’institution académique, ou considérait-il qu’il fallait sortir la langue d’un carcan trop classique ? Toujours est-il que les citations choisies et les exemples forgés sont parfois surprenants, pour ne pas dire triviaux. Par exemple, pour illustrer le terme trou, synonyme de cunnus (le sexe de la femme), il utilise les expressions suivantes : Il s’est agrandi par le trou de sa femme. On ne va point en Paradis par ce trou là.”  Pour péter, il a recours au curieux vers suivant, non attribué : Iris, votre bouche est faite pour parler et votre cu pour péter.Pour pucelage, on peut lire la maxime suivante, restée anonyme : Une pucelle de quinze ans est un friand morceau, mais ce morceau est un peu rare en ce siècle, où à quinze ans nos filles sont des femmes faites. Parmi les exemples les plus fameux, tabouret a droit à cet extrait un peu leste de SCARRON :

« Au plaisir de tous et de votre jarret

votre cu qui doit être un des plus beaux cus de France

comme un cu d’importance

a reçu chez la Reine, enfin, le tabouret. »

En introduction à son dictionnaire, RICHELET présente une partie des auteurs cités, soit une cinquantaine d’écrivains, morts ou vivants, dont 19 académiciens, comme VAUGUELASGUEZ de BALZAC, ABLANCOURT, RACANBOILEAU, CHAPELAIN, DESMARAIS, GODEAU, et bien sûr PATRU. Parmi les autres auteurs cités, figurent de grands noms de la littérature du XVIIe siècle, comme SCARRON, VOITURE, PASCAL, MOLIÈRE, MALHERBE, ainsi que des auteurs “scientifiques” tels RONDELETGLASERBÉLON ou DALÉCHAMPS, ce qui permet de souligner que RICHELET a ouvert son champ lexical à des domaines dédaignés par l’Académie, qui avait ainsi délimité sa mission : L’Académie a jugé qu’elle ne devoit pas y mettre les vieux mots qui sont entièrement hors d’usage, ni les termes des Arts & des Sciences qui entrent rarement dans le Discours. Elle s’est retranchée à la Langue commune, telle qu’elle est dans le commerce ordinaire des honnestes gens, & telle que les Orateurs & les Poètes l’employent. Ce qui comprend tout ce qui peut servir à la noblesse & à l’élégance du discours.” Cette vision étriquée de la langue sera à l’origine de la fronde et de la sécession de FURETIÈRE.

Le livre de RICHELET fera autorité jusqu’à la parution en 1690 du Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts de FURETIÈRE, suivi en 1694 de la première édition du Dictionnaire de l’Académie françoise. Malgré son lexique assez limité, soit 25 500 entrées, à comparer avec les 40 000 mots du Furetière, le Dictionnaire françois fera l’objet de très nombreuses rééditions. Des nouvelles versions remaniées et augmentées verront le jour, tel le Nouveau Dictionnaire françois, publié à Genève en 1693. Au XVIIIe siècle, alors que la version remaniée par l’abbé GOUJET fait toujours autorité, des éditions portatives, en particulier celle de Noël-François de WAILLY, seront à nouveau mises sur le marché.

Après la parution de son dictionnaire, RICHELET publiera encore quelques ouvrages sur la langue et la littérature françaises, mais il retombera dans un certain anonymat jusqu’à sa mort, qui survient en 1698. S’il est relativement délaissé par rapport à ses “concurrents”, le Richelet est toujours très apprécié des grammairiens et des amoureux de la langue française, qui apprécient son esprit synthétique, ses définitions précises et son style dynamique. Il demeure également un témoin irremplaçable de l’esprit et des mœurs de son temps. En témoigne par exemple sa définition du mot femme : « Créature raisonnable faite de la main de Dieu pour tenir compagnie à l’homme. » Cette assertion est complétée par le commentaire suivant : « Prendre une femme est une étrange chose, & c’est bien fait d’y songer toute sa vie. »

Les armoiries gravées sur les plats de notre exemplaire ne sont pas formellement identifiées, mais elles pourraient correspondre à celles de Jacques du TOUR-VUILLARD.



2 commentaires

  1. Vos articles sont toujours intéressants et marqués au coin de la plus belle érudition. Je salue l’excellence de vos recherches. Cordialement, Pierre Bouillon (collectionneur d’anciens dictionnaires de langue française).

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