Dictionnaire des incrédules
Auteur(s) : GUYNEMER A.-M.-A.
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En France, depuis la Révolution, les relations entre l’État et l’Église catholique ont souvent été conflictuelles. C’est ainsi que la Convention prononcera la séparation de l’Église et de l’État avant que NAPOLÉON Ier, sous une nouvelle forme, ne rétablisse par le Concordat de 1801 la collaboration entre le gouvernement et les cultes. Avec la Restauration, l’Église catholique retrouvera le soutien actif de la monarchie ; puis, sous la Seconde République, la loi Falloux sur la liberté de l’enseignement, votée en 1850, permettra le développement de l’enseignement confessionnel.
Le camp des républicains voit alors dans ce statut privilégié la survivance de la traditionnelle « alliance du trône et de l’autel » et, dès lors, la lutte contre le clergé, la papauté, les religions en général, mais plus particulièrement la religion catholique, devient indissociable de l’idéal républicain. Le Second Empire, qui cherche à s’assurer l’appui des catholiques et des conservateurs, affiche une certaine proximité avec l’Église, malgré des divergences d’appréciation sur la question de l’unification italienne. Les élections de 1869 conduisent NAPOLÉON III à prendre en compte la montée de l’opposition républicaine et à adopter une politique plus libérale et réformatrice. C’est l’époque où les publications ouvertement polémiques ont de nouveau pignon sur rue, et où Pierre LAROUSSE peut se permettre d’afficher ses positions clairement anticléricales dans son Grand Dictionnaire universel. C’est dans cette mouvance que s’inscrit le Dictionnaire des incrédules publié en 1869, que nous présentons ici. Bien qu’anonyme, la paternité de ce livre est attribuée à un certain A.M.A. GUYNEMER.
Nous ignorons tout de la biographie de l’auteur présumé de ce dictionnaire, qui était à l’évidence un farouche républicain et un anticlérical militant. Nous ne le connaissons que comme auteur d’autres ouvrages tels le Dictionnaire du bon républicain, daté de 1849, et le Dictionnaire d’astronomie à l’usage des gens du monde, édité en 1857. Dès l’introduction de son livre, il regrette que NAPOLÉON Ier ait par opportunisme rendu à l’Église “ses honneurs, son importance, ses privilèges et ses moyens d’action sur les affaires de l’État”. Il déplore encore plus que NAPOLÉON III, pourtant lui-même peu mystique, ait appuyé d’emblée sa légitimité sur la défense du catholicisme et les intérêts de la papauté, qui était alors dirigée par PIE IX, pape particulièrement réactionnaire et antirépublicain.
GUYNEMER dénonce l’influence des doctrines ultramontaines qui, selon lui, “envahissent l’éducation, les académies, les corps politiques, l’administration, tandis que les prédicateurs dénoncent partout les libres penseurs, comme des ennemis du trône et de l’ordre social”. Il prend à témoin les avancées de la science et de l’archéologie, pour affirmer “qu’il est impossible de défendre encore longtemps les erreurs, les contradictions et les faussetés du récit biblique”. Nous avons donc ici clairement affaire à un ouvrage d’un athéisme militant qui ne cache pas ses desseins : “Nous allons exposer les preuves d’ignorance, les erreurs, les contradictions, les impossibilités et les fables que contiennent les écritures prétendues divines ; les principes et les doctrines antisociales de la cour romaine.”
Le ton adopté est volontiers sarcastique, l’auteur n’hésitant pas à parodier le discours et les réactions outrées des défenseurs de l’Église. Sous prétexte d’apparaître pédagogique et “scientifique”, il se lance, comme un maître d’école un peu sentencieux, dans de longues démonstrations, verbeuses et parfois un peu bancales à force de raccourcis. Il affiche, avec un ton volontiers goguenard, un mépris souverain pour les « ignorants » qui, pour défendre leurs thèses, prennent appui sur la science, l’histoire et le « bon sens ».
GUYNEMER passe au crible de sa critique impitoyable la Bible, le dogme, l’histoire de la papauté et des conciles tout comme la vie des saints. Il évoque également le judaïsme, l’islam et le protestantisme, mais pour y puiser des arguments contre sa cible centrale, le catholicisme. À noter que dans son article consacré à JÉSUS, il se réfère au portrait qu’en avait dressé Ernest RENAN. C’est ainsi qu’il lui dénie tout aspect surnaturel et préfère présenter Le Messie comme une personnalité philosophique et morale qui cherchait avant tout à épurer le judaïsme, sans vouloir pour autant créer une religion nouvelle et encore moins une Église.
Notre lexicographe anticlérical et antireligieux n’est pas exempt de nombreux préjugés. Les femmes sont ainsi définies : “Dans tous les temps le sexe faible, éloigné des affaires, des travaux et de la politique ; crédule et enthousiaste, craintif et superstitieux, ayant plus d’imagination que de raison, se trouve, plus que les hommes, entraîné vers le merveilleux et les croyances religieuses.” GUYNEMER les voit même comme des auxiliaires du clergé catholique, telle “une armée bruyante et nombreuse, aveugle et docile, toujours prête à s’agiter pour la défense des intérêts ultramontains”.
Avec l’avènement de la Troisième République, les relations entre l’État et la religion catholique vont devenir particulièrement conflictuelles, culminant avec la loi de séparation de décembre 1905 et la crise des inventaires de 1906. Dans ce contexte, la littérature anticléricale et antireligieuse va connaître un véritable âge d’or, en particulier dans la presse.
Quelques extraits d’articles du Dictionnaire des incrédules :
*Béatitude : Où peut être situé ce royaume, contenant des millions d’anges, des milliards de saints et de saintes, de justes selon l’Église, et que ne traverseraient pas les innombrables corps opaques et lumineux, sans cesse en mouvement dans tous les sens, et les parties des cieux éthérés ? Enfin, continuent ces raisonneurs sans foi, est-ce que la vue de Dieu, dans toute sa gloire, entouré de chérubins, d’archanges et d’anges chantant ses louanges ; est-ce que l’audition de leurs concerts sans fin peuvent donner aux élus, rangés selon leurs mérites, une béatitude éternelle ? Est-ce que, après des mois, des années, des siècles, d’un bonheur aussi fastidieux, ces béatifiés ne voudraient pas mourir de nouveau pour retrouver, sur la Terre, ses illusions, ses curiosités et ses surprises ; ses plaisirs et ses travaux ; ses jeux, ses passions, ses amitiés et ses amours ; ses incertitudes, ses espérances, ses peines et même ses douleurs ?
*Péché originel : Des incrédules ont pensé que Dieu devait savoir que ses créatures succomberaient à la tentation, excitées par les conseils de Satan sous la forme de l’animal le plus rusé des champs ; c’était donc un piège inévitable, peu conforme à l’idée qu’on doit avoir de la bonté divine. On peut encore se demander à quoi bon un arbre de la science dans le paradis terrestre si l’on ne devait jamais l’utiliser ?
“On peut encore se demander à quoi bon un arbre de la science dans le paradis terrestre si l’on ne devait jamais l’utiliser ?”
Le sarcasme est brillant mais l’auteur, dans sa volonté critique exacerbée, fait une confusion: il s’agit de “l’arbre de la connaissance”.
Et dans ce cas cela ouvre une autre perspective.
Oui. Co-naissance et savoir, ce n’est pas du tout la même chose.