Typographie, Argot

Dictionnaire de la langue verte typographique

précédé d'une Monographie des typographes, et suivi de Chants dus à la muse typographique

Auteur(s) : BOUTMY Eugène

 Paris, Isidore LISIEUX éditeur, rue Bonaparte
 nouvelle édition (la première date de 1874)
  1878
 1 vol. (139 p.)
 In-douze
 demi-chagrin rouge à coins, pièce de titre en maroquin brun, lettres dorées


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Pierre-Eugène BOUTMY est associé à l’aventure du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre LAROUSSE. Ne se contentant pas de rédiger certains articles, en particulier sur la géographie et l’art typographique, il assure tout le travail de relecture et de correction de cette vaste encyclopédie. En parallèle il collabore à l’élaboration de la France illustrée, ouvrage dirigé par le géographe Victor-Adolphe MALTE-BRUN, pour lequel il rédige des articles portant sur une quarantaine de départements.

En 1874, il publie, pour son compte, en association avec un libraire, un ouvrage sur ce qui constitue son métier de base : Les typographes parisiens. Cette présentation détaillée de la profession est complétée par un Petit dictionnaire de la langue verte typographique. Depuis quelques décennies, portée par une littérature en quête de pittoresque et d’authenticité, l’étude de l’argot est très à la mode, qu’il s’agisse de celui du petit peuple parisien, de la pègre ou du jargon professionnel. Le succès des ouvrages d’Étienne LORÉDAN-LARCHEY, d’Alfred DELVAU et de Lucien RIGAUD témoigne de cette vogue. Ces auteurs évoquent dans leurs livres, mais de manière ponctuelle et anecdotique, l’argot du milieu de l’édition et de l’imprimerie. En 1878, le livre de BOUTMY est réédité par l’audacieux éditeur Isidore LISIEUX, mais, dans cette nouvelle version, c’est le dictionnaire argotique qui prend le dessus, l’ouvrage gagnant dès lors le titre de Dictionnaire de la langue verte typographique, précédé d’une monographie des typographes. Il s’agit de l’ouvrage ici présenté.

Soucieux de faire connaître son métier, souvent confondu avec celui de l’imprimerie proprement dit, l’auteur entend en définir clairement la mission et les contours : « Ne sont pas typographes tous les ouvriers employés dans une imprimerie : celui seul qui lève la lettre, celui qui met en pages, qui impose, qui exécute les corrections, en un mot qui manipule le caractère, est un typographe ; les autres sont les imprimeurs ou pressiers, les conducteurs de machines, les margeurs, les receveurs, les clicheurs, etc. Le correcteur lui-même n’est typographe que s’il sait composer, et cela est si vrai que la Société typographique ne l’admet dans son sein que comme compositeur, et non en qualité de correcteur. »

Une fois le terme de typographe clairement défini, l’auteur passe en revue les principales tâches qui lui sont attribuées dans un atelier d’imprimerie. Identifiant les catégories de prote, de metteur en pages et de paquetier, il insiste sur le fait que ces distinctions entre elles demeurent souvent théoriques, un prote pouvant devenir ponctuellement metteur en pages alors que, selon les ateliers, les différentes fonctions sont plus ou moins séparées ou regroupées.

BOUTMY retrace l’histoire d’une profession liée au développement de l’imprimerie. Au fur et à mesure de l’industrialisation de cette activité et de l’accroissement de la production, les tâches du typographe se sont spécialisées, subissant une rapide évolution. Le maître-imprimeur, qui autrefois prenait à sa charge le travail typographique, est devenu un patron, c’est-à-dire un fabricant de livres, tandis que le prote reste désormais « un ouvrier actif et intelligent, choisi par le patron pour diriger le travail des compositeurs, ses anciens confrères ». La fonction de correcteur prend de plus en plus d’importance, car désormais la priorité consiste à « reproduire fidèlement le manuscrit de l’écrivain, souvent défiguré dans le premier travail de la composition typographique ; ramener à l’orthographe de l’Académie la manière d’écrire particulière à chaque auteur ».

Typographe est un métier complexe nécessitant une grande maîtrise technique et une bonne connaissance de la langue française. Il était donc inévitable que dans ce milieu se développe, à l’instar d’autres professions, un parler spécifique émaillé d’expressions plus ou moins ésotériques pour le profane. Après avoir brossé un portrait vivant et très détaillé de la profession, BOUTMY s’attaque à son langage très imagé. Le lecteur découvre les sens caché d’expressions aussi mystérieuses que “Faire chauffer de l’eau chaude”, “planquer des sortes”, “Faire des heures en bois”, “Poser une sangsue”, “Bourreur de lignes” ou encore le grivois “Chier dans le cassetin aux apostrophes”, qui signifie “Quitter le métier de typographe”. Quelques expressions sont d’ailleurs entrées dans le langage courant comme “Être dans les choux” et “Enfant de la balle”.

Relevons au passage que le milieu des typographes, en particulier des “frères” (ceux qui appartiennent à la Société typographique), ne semble pas hostile à la bonne chère et au bien boire, comme l’atteste la présence d’expressions comme “Boire de l’encre”, “Manger un lapin”, “L’absinthe ne vaut rien après déjeuner”, “Étouffer un perroquet” (boire un verre d’absinthe) ou “Écraser un grain”. Des poèmes très “inspirés”, faisant l’éloge de l’art typographique, concluent l’ouvrage. Petit échantillon : « Cet art divin, à la pensée humaine / Créa soudain de larges ailes d’or / Puis, lui donnant l’infini pour domaine / Rendit fécond son lumineux essor / Grâces à lui, des travaux du génie / Le peuple un jour put goûter les primeurs / Et s’abreuver à sa source bénie / Gloire immortelle à l’art des imprimeurs ! »

Ce dictionnaire est de nouveau publié en 1883, cette fois sous le titre de Dictionnaire de l’argot des typographes, enrichi d’une sélection de coquilles typographiques célèbres ou curieuses. Quant à BOUTMY, nous perdons ensuite sa trace et nous ignorons la date de son décès.

Quelques définitions

C’est à cause des mouches : Réplique goguenarde que l’on fait à une question à laquelle on ne veut pas répondre.

Bonnet : Espèce de ligue offensive et défensive que forment quelques compositeurs employés depuis longtemps dans une maison, et qui ont tous, pour ainsi dire, la tête sous le même bonnet. Rien de moins fraternel que le bonnet. Il fait la pluie et le beau temps dans un atelier, distribue les mises en pages et les travaux les plus avantageux à ceux qui en font partie d’abord, et, s’il en reste, aux ouvriers plus récemment entrés qui ne lui inspirent pas de crainte. Le bonnet est tyrannique, injuste et égoïste, comme toute coterie. Il tend, Dieu merci ! à disparaître ; mais c’est une peste tenace.

Aller en Germanie : Remanier. Cette expression, d’allure si preste, s’applique pourtant, comme on voit, à une chose très désagréable pour le compositeur. Lorsqu’il a commis un bourdon ou un doublon et qu’il est forcé de remanier un long alinéa, on dit qu’il va en Germanie. Cette locution, récemment introduite dans quelques ateliers, vient-elle des nombreux remaniements que la Prusse a fait subir, depuis 1866, à la carte d’Allemagne, et même, hélas ! à la carte de France ?

Panama : Bévue énorme dans la composition, l’imposition ou le tirage, et qui nécessite un carton ou un nouveau tirage, ce qui occasionne une perte plus ou moins considérable. D’où, chez le patron, bœuf [composition de quatre ou cinq lignes qu’un compagnon fait gratuitement pour un camarade momentanément absent] pyramidal, qui se propage quelquefois de proche en proche jusqu’à l’apprenti.

Sentinelles : Lettres qui tombent d’une forme quand on la lève et qui se tiennent debout sur le marbre. || Dans un autre sens, on appelle sentinelle le verre de vin que viendra boire un peu plus tard un compagnon qui ne peut actuellement sortir. Aussitôt que cela sera possible, celui-ci relèvera la sentinelle posée et payée par son camarade.

Hanneton : Idée fixe et quelquefois saugrenue. || Avoir un hanneton dans le plafond, c’est avoir le cerveau un peu détraqué. On dit aussi, mais plus rarement, Avoir une sauterelle dans la guitare et une araignée dans la coloquinte. Le hanneton le plus répandu parmi les typographes c’est, nous l’avons déjà dit, la passion de l’art dramatique. Dans chaque compositeur il y a un acteur. Ce hanneton-là, il ne faut ni le blâmer ni même plaisanter à son sujet ; car il tourne au profit de l’humanité. Combien de veuves, combien d’orphelins, combien de pauvres vieillards ou d’infirmes doivent au hanneton dramatique quelque bien-être et un adoucissement à leurs maux ! Mais il en est d’autres dont il est permis de rire. Ils sont si nombreux et si variés qu’il serait impossible de les décrire ou même de les énumérer.



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