Français (langue), Grammaire

Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux

ouvrage pouvant servir de complément au "Dictionnaire des difficultés de la langue française" par LAVAUX. Par un ancien professeur

Auteur(s) : PLATT L.

 Paris, chez Aimé ANDRÉ, libraire, rue Christine, n°1
 édition originale
  1835
 1 vol (X-463 p.)
 In-octavo
 demi-basane, dos lisse avec filets dorés, titre doré


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Au cours du XVIe siècle, le français acquiert définitivement ses lettres de noblesse en devenant la langue officielle de l’État, au détriment du latin qui demeure l’idiome scientifique et savant par excellence. Il reste cependant à doter la langue d’un corpus de règles pour l’oral comme pour l’écrit, bref de la codifier par l’élaboration d’une grammaire unifiée. De nombreux auteurs, de PALSGRAVE à VAUGELAS, en passant par OUDIN, MÉNAGE, DUMARSAIS, OLIVET, FÉRAUD et WAILLY, contribuent par leurs écrits à cette mission normalisatrice, alors que de son côté, depuis sa création en 1635, l’Académie française reste très attachée au rôle qui lui a été assigné : définir le “bon usage” du français. Malgré les progrès de l’instruction publique au début du XIXe siècle, le français “académique” n’est pas la langue maternelle d’une grande partie de la population du pays. Outre les manuels et autres ouvrages grammaticaux spécialisés, le dictionnaire est utilisé pour populariser et expliquer de manière synthétique les règles du bon français. C’est ainsi qu’en 1818 Jean-Charles LAVEAUX publie son Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue française, qui fera date et deviendra une référence incontournable sur le sujet. Mais, jugeant qu’il faut pallier les omissions de ce livre qui s’adresse à un public d’un bon niveau d’instruction, en 1835 un dénommé L. PLATT propose un nouvel ouvrage, clairement défini comme un supplément à celui de LAVEAUX : Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux (précisons qu’ici, dans son acception, le terme vicieux n’est pris dans le sens de licencieux mais d’erroné et incorrect). Il s’agit de l’ouvrage présenté ici.

Nous ne disposons d’aucune information biographique sur l’auteur, dont le prénom complet nous reste inconnu. Contentons-nous de ce qu’indique la page de titre, c’est-à-dire qu’il est “un ancien professeur”. PLATT motive sa démarche par le fait qu’un grand nombre de gens “peu instruits”, mais appartenant malgré tout “à toutes les classes de la société”, écorchent et maltraitent le français sans même en avoir conscience. Au grand désespoir de notre lexicographe, les fautes de langage sont également trop répandues chez les hommes de lettres, qui contribuent ainsi à “pervertir” le langage courant et lui inspirent ce jugement sans appel : “Tout homme qui estropiera la grammaire ne devra jamais se flatter d’exercer une grande influence intellectuelle sur ses concitoyens.”

Notre homme se pose en véritable “missionnaire” de la langue, habité par la conviction que la grammaire n’est en aucun cas une science fastidieuse et inutile. C’est ainsi que PLATT élabore un dictionnaire didactique, qu’il veut accessible à un large public, ajoutant que ʺ l’imagination la plus riche peut parfaitement s’allier à l’érudition grammaticale”. Il résume sa démarche de manière lapidaire : “LAVEAUX a dit ce qu’on doit dire, Nous dirons, nous, ce qu’on ne doit pas dire.” Il précise d’ailleurs sa pensée en reprenant à son compte une citation d’Antoine SABATIER de CASTRES : ” En fait de grammaire, l’exposition des fautes est plus utile que celle des préceptes.”

Adoptant une pédagogie “inversée, il se concentre donc sur les nombreux contresens, erreurs et tournures archaïques qui polluent le langage courant. Chaque article est construit de la même manière : d’entrée la locution “vicieuse”, suivie de la locution correcte assortie d’un commentaire. Petit exemple avec le verbe Aller : “Loc. Vic : Il s’est en allé, Il a plusieurs endroits à aller, Je m’en vas lui parler, Mon frère est allé en ville ce matin, et en est revenu ce soir | Loc. corr. : Il s’en est allé, Il a plusieurs endroits où aller, Je vais lui parler, Mon frère a été en ville ce matin, et en est revenu ce soir”. PLATT s’attaque également aux prononciations inexactes, comme Arc-boutant, qui se prononce Ar-boutant et non Arque-boutant et Sourcils, qui se prononce Sourcis.

Beaucoup de ces notices sont consacrées à des mots déformés ou utilisés dans un genre incorrect (Incendie ou Ulcère employés au féminin, Cangrène au lieu de Gangrène, Soupoudrer au lieu de Saupoudrer, ou encore Marronner à la place de Marmonner), quand d’autres termes sont simplement jugés « barbares et à proscrire ». PLATT va jusqu’à associer vocabulaire et bonnes manières, au risque de faire preuve de subjectivité. Par exemple, pour lui le mot Minable ne doit pas être utilisé à la place de Pauvre car “Nous repoussons ce mot parce que nous ne le croyons réellement digne que d’un langage minable. Nous ne l’avons jamais lu dans un ouvrage bien écrit, ni entendu dans la conversation des gens bien élevés.”

Avec le temps, certaines recommandations de PLATT sont passées aux oubliettes, la forme “viciée” qu’il combattait ayant fini par devenir la norme : “Elle a tissu une toile” n’a pas remplacé “Elle a tissé une toile“, de même qu’on ne dit pas “Mon fils a tombé hier ʺ, au lieu de “Mon fils est tombé hier”, et “Cette étoffe est d’un bon user” n’a pas supplanté “Cette étoffe est d’un bon usage”. Il en est de même pour “Ce bouillon a des œils”, qui nous ferait frémir aujourd’hui. Notre grammairien pointilleux, souvent plus “puriste” que les Académiciens eux-mêmes, s’appuie essentiellement sur des auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles, en privilégiant la langue littéraire “classique” des grands écrivains aux dépens du langage courant. Par ce parti pris élitiste, il en arrive parfois, paradoxe suprême pour un ouvrage qui se veut un guide du bon français, à défendre des expressions qui, entretemps, sont devenues des archaïsmes.

Cette même année 1835 est marquée par la publication de la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française, qui entérine une importante réforme de l’orthographe et reçoit le soutien de la plupart des grammairiens de l’époque, dont PLATT.



Un commentaire

  1. Un grand merci pour vos articles de qualité, rédigés avec clarté et dans un style bien agréable. Les renvois sont judicieux et bien utiles, notamment lorsqu’ils permettent d’accéder aux ouvrages mentionnés dans Gallica.

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