
Trésor des origines
et dictionnaire grammatical raisonné de la langue française. Spécimen.
Auteur(s) : POUGENS Marie Charles Joseph
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Né en août 1755 à Paris, les origines familiales de POUGENS restent mal définies. Le nom de sa mère est inconnu et si on en croit la marquise de CRÉQUY, il serait le fils illégitime du prince de CONTI, cousin du roi. Seule certitude, il bénéficiera d’une éducation très soignée, prodiguée à domicile du fait de sa constitution fragile. Il fréquente des personnages très en vue, dans le monde politique comme dans celui des arts et des lettres, devenant en particulier intime de D’ALEMBERT et du marquis de LA FAYETTE. S’il excelle dans les langues et la littérature, c’est à une carrière diplomatique qu’il semble destiné. En 1776, il est envoyé à Rome où le cardinal BERNIS, ambassadeur de France, le prend sous son aile. Les deux hommes ayant noué une solide amitié, POUGENS se voit rapidement intégré à la bonne société de la ville. Initié aux subtilités de l’art diplomatique par son mentor et par l’ambassadeur de Malte, il est surtout enchanté de découvrir une ville dont il s’empresse d’explorer les vestiges historiques et les merveilles artistiques. Inspiré par le Ville éternelle, il se met à la peinture et remporte le prix de l’Académie de peinture de Rome ; distinction qui, en 1778, lui permet d’être admis au sein de cette institution prestigieuse.
En mai 1777, il entreprend un grand projet dédié à la langue française, soit un grand recueil de citations puisées chez les auteurs de toutes les époques, “destinées à étendre les diverses acceptions des mots de notre langue“. Ce travail doit servir de base à un dictionnaire grammatical historique et exhaustif. Comparant sa tâche à celle d’un “explorateur“, il se lance dans un titanesque travail de recherche bibliographique, de collecte et de compilation. Au cours de l’élaboration de ce qu’il baptisera son Trésor des origines, et auquel il veut adjoindre un Dictionnaire grammatical raisonné de la langue française, il se prend de passion pour l’histoire linguistique et l’étymologie du français. Il écume les bibliothèques romaines avec une prédilection pour celle du Vatican. Son projet est déjà bien engagé quand la fatalité le frappe durement.
Au cours de l’automne 1779, il contracte une très forte fièvre qui manque de l’emporter. Ses yeux gonflent et sa vue se dégradant irrémédiablement, un médecin déclare que l’œil droit est condamné et le gauche en sursis. À Lyon, il fait confiance à un oculiste réputé qui, en lui appliquant des traitements corrosifs, achève de le rendre complètement aveugle. Surmontant au mieux son handicap, il se consacre plus que jamais à l’étude. Doté d’une mémoire hors du commun, il fréquente assidûment la Bibliothèque royale et, palliant son infirmité grâce à l’aide dévouée d’un secrétaire, il entame une bibliographie raisonnée. Celle-ci reste à l’état de prospectus, mais POUGENS n’abandonne pas pour autant son Trésor, pour lequel il continue d’accumuler des notes. Finalement il déclare avoir “réuni plus de cinq cent mille citations ou exemples tirés des principaux écrivains français et qui sont destinés à étendre les diverses acceptions des mots de notre langue”.
Parvenant, malgré ses liens avec la haute noblesse, à éviter les représailles révolutionnaires, POUGENS se trouve est malgré tout ruiné par la dépréciation des assignats et contraint de se séparer du précieux secrétaire qui l’assistait dans la rédaction de son Trésor; projet auquel il n’a pas renoncé mais qu’il doit désormais mettre en suspens. En 1794, il publie Vocabulaire de nouveaux privatifs français imités des langues latine, italienne, espagnole, portugaise, allemande et anglaise. Dans son avant-propos il évoque le projet de Trésor, auquel il entend bien désormais se consacrer pleinement : “je vais me livrer tout entier à un autre travail plus étendu, et dont je m’occupe depuis plus de seize années. Moins aride et plus philosophique que celui-ci, il renfermera les diverses étymologies tirées des langues anciennes, et principalement de celles du Nord, en remontant toujours aux racines primitives, mais sans autre système que celui qu’indique nécessairement l’histoire, la critique et la philosophie ; car les mots sont comme les hommes, leur nature est mixte puisque l’invasion, la conquête, le commerce ont également confondu les nations et les divers idiomes.”
POUGENS détaille l’ébauche de son plan : “À la suite des étymologies, on trouvera les variantes des mots selon l’ordre chronologique des siècles ; les définitions, cette partie si essentielle de la philosophie spéculative ; les acceptions diverses, qui sont aux définitions ce que les espèces sont aux genres ; les exemples tirés des classiques qui ont illustré les trois siècles de notre littérature ; enfin, la synonymie, l’homonymie, la prosodie, etc.” En 1799, à l’occasion de la sortie de la seconde édition de son livre Essai sur les antiquités du Nord, il livre une présentation plus détaillée de l’organisation de son futur ouvrage :“Les hommes qui aiment à s’instruire et même ceux dont l’esprit timide s’effraie à l’aspect de l’érudition, trouveront dans ce dictionnaire l’attrait d’une lecture piquante au moyen des citations tirées des grands écrivains qui ont fixé et universalisé notre langue. Peut-être me saura-t-on quelque gré de n’avoir été ni fatigué, ni découragé depuis vingt ans par l’immensité d’une telle entreprise”. Il projette alors de consacrer six volumes au Trésor auxquels seraient adjoints quatre tomes d’un suppléments formant un Dictionnaire grammatical raisonné.
Mais, les années passant, l’auteur doit se rendre à l’évidence, il lui faut envisager une “prépublication” pour éviter que l’ouvrage ne disparaisse totalement avec lui. Il publie donc en 1819 un “spécimen” de son Trésor des origines. Dans ce livre, celui présenté ici, POUGENS rassemble une cinquantaine de mots -d’Acheter à Czar -, parmi lesquels figurent Amazones, Chamois, Bachelier, Cohorte, Alouette, ou encore Colosse et Ambassadeur. Chaque notice, fruit d’un immense travail de documentation, témoigne du haut niveau d’érudition de POUGENS. Il décrit sa méthode en ces termes : “Mon Trésor des Origines de la langue française est disposé de la manière suivante : 1. les diverses opinions des étymologistes qui m’ont précédé ; je les compare, je les discute, et je réserve pour la dernière celle qui est la plus vraisemblable ou la plus généralement reçue ; 2. mes opinions, disons mieux, mes conjectures, appuyées des nombreuses autorités, soit historiques, soit philologiques, qui leur ont servi de base; je dis nombreuses, car les écrivains ou les ouvrages que j’ai consultés s’élèvent à plus de quatre mille deux cents“. Le résultat, réellement impressionnant, démontre sa difficulté à être sélectif et synthétique dans un texte enrichi de digressions historiques. Puisant dans des sources très diverses, il met également un point d’honneur à utiliser les alphabets et les écritures d’origine. C’est ainsi que, au fil des notices, se retrouvent des mots en grec ancien, en arabe, en hébreu, en géorgien, en sanskrit, en syriaque, en gothique, en persan, en arménien, en turc, etc. Cet ouvrage dense, parfois très touffu et enrichi de nombreuses références bibliographiques, constitue indéniablement une véritable mine d’informations
Pressentant qu’il ne connaitrait pas l’aboutissement de sa grande œuvre, POUGENS prépare son passage de flambeau : “Si les années qui s’accumulent sur ma tête, si mes forces usées par la persévérance, par mes longs, mes pénibles travaux, ne me permettaient pas de mettre les dernières lettres de mon Trésor des Origines et de mon Dictionnaire grammatical raisonné en état d’être livrées au public, je ne serais que médiocrement affligé de cette interruption involontaire ; car mon travail n’en souffrirait point. M. Théodore Lorin, membre de plusieurs académies, mon ami, mon meilleur élève, et que j’ai formé durant vingt-quatre ans, me remplacerait avec succès […]. Aussi, j’ose le présenter avec confiance à l’Europe savante, sûr qu’il justifiera l’opinion que, dès sa première jeunesse, m’avoient inspiré les heureuses dispositions qu’il a reçues de la nature, et que j’ai eu le bonheur de développer”. Ce ne sera hélas pas le cas… Il va malgré tout s’efforcer de faire fructifier un autre pan de ses travaux en publiant en 1821 un autre ouvrage, Archéologie française ou Vocabulaire de mots anciens tombés en désuétude et propres à être restitués au langage moderne.
Décédé en 1833, POUGENS n’a pu mener son Trésor à bonne fin. Mais, pour autant, son imposant labeur n’aura pas été vain, puisque son travail servira de référence et de modèle à d’autres lexicographes. Plus tard, c’est en ces termes qu’Émile LITTRÉ, dans la préface de son célèbre dictionnaire, rendra hommage au grammairien aveugle, : “J’en dois dire autant de Pougens. Lui est de notre siècle ; il avait projeté un Trésor des origines de la langue française ; un Spécimen en a été publié en 1819, et deux volumes, sous le titre d’Archéologie française, en ont été tirés. Pour s’y préparer, il avait fait des extraits d’un grand nombre d’auteurs de tous les siècles ; ses dépouillements sont immenses ; ils remplissent près de cent volumes in-folio ; c’est la bibliothèque de l’Institut qui les conserve, et ils n’y sont que depuis deux ou trois ans ; j’y jette les yeux à mesure que j’imprime, et avec cette aide je fortifie plus d’un article, je remplis plus d’une lacune. Les manuscrits de La Curne de Sainte-Palaye et de Pougens sont des trésors ouverts à qui veut y puiser ; mais on ne peut y puiser sans remercier ceux qui nous les ont laissés”.
Incroyable ce que la passion peut pousser un homme à faire !
Plus personne ne pourrait ou voudrait se lancer dans une telle œuvre, défi de taille.
Seuls les traducteurs de la Bible y ont mis autant de persévérance.