Cuisine, Gastronomie

Néo-physiologie du goût par ordre alphabétique, ou Dictionnaire général de la cuisine française, ancienne et moderne

ouvrage où l'on trouvera toutes les prescriptions nécessaires à la confection des aliments nutritifs ou d'agrément, à l'usage des plus grandes et des plus petites fortunes ; publication qui doit suppléer à tous les livres de Cuisine dont le public n'a que trop expérimenté le charlatanisme, l'insuffisance et l'obscurité ; enrichi de plusieurs menus, prescriptions culinaires, et autres opuscules inédits de M. de La REYNIÈRE. suivi d'une Collection générale des menus français depuis le douzième siècle, et terminé par une pharmacopée qui contient toutes les préparations médicinales dont l'usage est le plus utile et le plus familier, dédié à l'auteur des Mémoires de la marquise de CRÉQUY

Auteur(s) : COUSIN de COURCHAMPS Pierre-Marie-Jean

 Paris, au Bureau du dictionnaire général de cuisine, 16 boulevard Montmartre
 
  1839
 1 vol (III-635 p.)
 In-octavo
 demi-chagrin beige, dos à quatre nerfs, pièce de titre de maroquin rouge, titre en lettres dorées


Plus d'informations sur cet ouvrage :

En décembre 1825, Jean-Anthelme BRILLAT-SAVARIN, magistrat de profession, publie, à la demande de ses amis, un livre qui fera date dans l’histoire de la gastronomie française : la fameuse Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante. Grand amateur de cuisine et de bonne chère, cet épicurien, non content de faire de son livre un recueil de recettes, se lance dans une succession de réflexions et de démonstrations scientifiques sur le mécanisme du goût, qu’il agrémente d’anecdotes sur le plaisir de manger. Loin de partager l’engouement, qui avait cours au XVIIIe siècle, pour un Art culinaire sophistiqué dont Marie-Antoine CARÊME était alors le représentant le plus illustre, BRILLAT-SAVARIN insiste sur la manière d’exalter la saveur des bons produits et prône avant tout la convivialité du repas entre amis. En effet, pour notre gastronome, le plaisir de la gourmandise ne peut atteindre son summum que lors d’un moment privilégié de partage, car “le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s’associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte”.

Publié presque en catimini deux mois avant la mort de son auteur, le livre, qui propose une vision ethnologique et sociologique du goût (“Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es“), rencontre un immense succès, ne cessant par la suite d’être réédité. À une époque où se multiplient les livres de recettes et où la cuisine française se codifie dans les restaurants et les salles à manger de la grande bourgeoisie, La Physiologie du goût acquiert un statut de véritable classique. Le livre, encensé en son temps par la critique et par BALZAC en particulier, fait encore l’unanimité de nos jours. Le succès de l’ouvrage à sa sortie incitera le monde de l’édition à exploiter le filon ; c’est ainsi qu’en 1839 paraît l’ouvrage présenté ici, lequel, par son titre, revendique clairement une filiation avec le livre de BRILLAT-SAVARIN : Néo-physiologie du goût par ordre alphabétique, ou Dictionnaire général de la cuisine française, ancienne et moderne.

Ce livre est publié sans nom d’auteur mais il est vite entendu qu’il est l’œuvre de Pierre-Marie-Jean COUSIN de COURCHAMPS, un littérateur né à Saint-Servan en 1783, qui écrit sous les noms de plume « Maurice COUSIN » ou « comte de COURCHAMPS ». Cet écrivain s’est fait connaître quelques années auparavant par les Souvenirs de la marquise de CRÉQUY, ouvrage supposé retranscrire des mémoires rédigés par Renée-Caroline-Victoire de FROULAY de TESSÉ, marquise de CRÉQUY, une femme d’esprit qui avait longtemps tenu à Paris un salon littéraire réputé. En réalité, ce livre, édité entre 1834 et 1836, était l’œuvre de COUSIN de COURCHAMPS. Ce dernier se basant, semble-t-il, sur un manuscrit existant, avait beaucoup brodé pour réaliser une véritable oeuvre littéraire qui avait séduit un large public par son style enlevé et les anecdotes qu’elle renfermait. La parution de ce livre s’est traduite par un succès de librairie considérable, en dépit des critiques qui ne ménagèrent guère l’auteur, accusé d’être un mystificateur.

Gourmet averti, COUSIN de COURCHAMPS ne porte pas une grande estime à la littérature culinaire publiée depuis plusieurs décennies. Il renvoie dos-à-dos les “charlatans, qui parlent de ce qu’ils ne savent pas… et spéculent sur la simplicité du public afin de lui faire acheter un gros livre, et les hommes de l’art qui usent et abusent de formules alambiquées et de termes ésotériques“. À ses yeux, ces derniers proposent des conseils abscons et des recettes inutilement complexes à un public non initié et il entend, avec son ouvrage, renouer avec la simplicité qui était la marque de la Cuisinière bourgeoise.

S’il emprunte ouvertement le titre de BRILLAT-SAVARIN, l’auteur s’écarte de son approche car, à la place d’un recueil de réflexions et d’anecdotes, il ambitionne de réaliser “un ouvrage utile et de bonne foi”, avant tout pratique et accessible au public le plus large.

Sans surprise, le dictionnaire propose un grand nombre de recettes “les mieux rédigées pour opérer facilement la confection des mets les plus simples ou les plus délicatement recherchés”. Nombre d’entre elles sont empruntées à Alexandre Balthazar Laurent GRIMOD de LA REYNIÈRE, autre grande référence de la gastronomie française. Comme annoncé, COUSIN se veut sobre, sans effet de style et surtout sans jargon. C’est ainsi qu’il évite d’utiliser des termes techniques spécifiques au monde des cuisiniers, de l’office et du service et, tout en restant ouvert aux cuisines des autres pays d’Europe, il retient, par exemple, des recettes de ragoûts italiens et polonais, de gâteaux anglais, de plats allemands et autrichiens.

Il dispense également des conseils pour varier la préparation des plats sans avoir à se ruiner, pour acheter des produits de saison ou faire des conserves. Le vin, français et étranger, occupe un long chapitre dans lequel l’auteur insiste sur les précautions à prendre pour en assurer la conservation et choisir le moment adéquat pour le servir.

Le dictionnaire est complété par un chapitre intitulé Recueil des menus ou tableaux de l’ordonnance des repas français anciens et modernes, qui retrace la petite histoire de la gastronomie en France grâce à une série de menus servis lors de repas organisés en l’honneur de hauts personnages ; comme par exemple LOUIS XIV, BONAPARTE ou la duchesse de BERRY.

Beaucoup plus inattendue est la dernière partie du livre, dans laquelle se trouve un Recueil des recettes médicales les plus usuelles et les plus faciles à bien composer. Après avoir proposé des recettes appétissantes et des menus raffinés, notre gastronome termine son livre par un traité d’hygiène, de diététique et de santé qui n’est pas sans rappeler les anciens manuels et dictionnaires d’économie domestique, qui associent conseils pratiques pour la vie quotidienne, la gestion d’une maisonnée, les recettes de cuisine et les compositions de remèdes aisés à élaborer sans le secours du médecin.

Sans transition nous passons donc de la bonne chère à la pharmacopée, en découvrant tout un assortiment de tisanes, d’apozèmes, de décoctions, de sirops, de pilules, de cordiaux, de juleps, de collyres, d’eaux distillées, de lavements et d’aliments pour convalescents, tels le lait de poule ou le ratafia digestif de noix vertes. Parmi les remèdes proposés figurent des lavements qui nous semblent aujourd’hui plutôt incongrus, comme le lavement calmant du docteur CHIRAC ou le lavement à l’amidon opiacé.

Cet ouvrage ne rencontrera guère le succès escompté et le célèbre bibliographe Joseph-Marie QUÉRARD constatera méchamment, en 1847, qu’il “s’est glissé, sans avoir fait de bruit, dans la librairie au rabais”. COUSIN de COURCHAMPS décèdera dans l’anonymat à Paris en 1849.



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