Turc (langue)

Dictionnaire Turc-Francais

à l`usage des agents diplomatiques et consulaires, des commercants, des navigateurs et autres voyageurs dans le Levant

Auteur(s) : BIANCHI Thomas Xavier de, KIEFFER Jean-Daniel

 Paris, typographie de Mme Vve DONDEY-DUPRÉ, imprimeur du comité des traductions du comité des traductions orientales de Londres, rue Saint-Louis, n°46, au Marais
 seconde édition (la première date de 1835)
  1850
 deux tomes reliés en un seul vol (environ 2300 p.)
 In-octavo
 basane noire, dos à quatre nerfs


Plus d'informations sur cet ouvrage :

À la recherche d’alliés pour contrer la puissance de la dynastie des Habsbourg, le royaume de France décide, en février 1536, de nouer une alliance avec l’Empire ottoman en signant des Capitulations aux côtés de SOLIMAN II, dit Le Magnifique. FRANÇOIS Ier argue qu’il s’agit d’assurer la protection des chrétiens vivant en terre d’Islam, mais en réalité l’accord implique aussi, non seulement des enjeux militaires, mais aussi financiers, économiques, diplomatiques et religieux. Les Français se voient accorder une série de privilèges importants, en premier lieu la possibilité de commercer librement dans tous les ports ottomans sous régime d’extraterritorialité. En théorie, seul le consul de France est habilité à juger les affaires opposant des Français sur le sol ottoman, en comptant sur la bonne volonté des autorités locales pour faire appliquer les décisions. Un réseau de comptoirs prospères et influents, pour lesquels le royaume de France se porte garant, voit le jour sous le nom d’Échelles du Levant. L’accord, qui ne manque pas de susciter un certain émoi dans la chrétienté, permet à la France d’obtenir, par rapport aux autres pays, un avantage diplomatique, commercial et même culturel puisque le français sera, pendant plusieurs siècles, une des langues étrangères les plus pratiquées par les élites, les commerçants et les minorités religieuses dans les zones contrôlées par un Empire ottoman qui s’étendait alors  sur une partie de l’Afrique du Nord.

Cette entente connaîtra un revers au cours de l’expédition d’Égypte. En débarquant en 1798 à Alexandrie, le général BONAPARTE déclare ne faire la guerre qu’aux seuls Mamelouks, mais ceux-ci sont en réalité sous la tutelle de la Sublime Porte, qui envoie des troupes combattre l’armée française tandis que les consuls et les négociants emprisonnés voient leurs biens confisqués. Après le repli de l’armée française en 1801, le pouvoir ottoman et la France s’empressent, en 1802, de signer la paix et renouveler les Capitulations. Malgré la brouille causée par la prise de la régence d’Alger, la collaboration franco-ottomane se poursuit sous le règne de LOUIS-PHILIPPE ; mais dès lors la France aura perdu son ascendant, supplantée par la Grande-Bretagne. En 1835, à la suite d’un rapport d’enquête remis au roi, le régime des Échelles est abandonné par le gouvernement français et la France redevient un partenaire commercial comme un autre, même si elle continue à jouir d’une certaine aura culturelle et diplomatique.

Malgré cette nette perte d’influence, une intense activité commerciale et consulaire justifie pleinement la publication d’un véritable dictionnaire bilingue susceptible de remplacer le Lexique arabe-turc-persan écrit en latin par François MENINSKI qui est, jusque-là, la seule référence en la matière. Une personnalité va permettre au projet de prendre forme : il s’agit de Jean-Daniel KIEFFER. En 1796, celui-ci fait partie de la légation française de Constantinople en tant que premier secrétaire interprète. Fait prisonnier en 1798 avec ses collègues, il met à profit sa captivité de trois années pour se perfectionner en langues orientales. Il arrive à Paris en 1803, en qualité d’accompagnant de l’envoyé du sultan. L’année suivante, il est nommé secrétaire interprète pour les langues orientales auprès du ministère des Affaires étrangères. Peu de temps après il devient professeur suppléant au Collège de France.

Désormais bien établi, KIEFFER peut commencer, avec le soutien direct des autorités, à rédiger un nouveau dictionnaire de turc. Plusieurs années durant, il adresse ses feuilles par le courrier du ministère à son collègue et ami Pierre RUFFIN, resté à Constantinople, pour qu’il les relise, les corrige et les lui renvoie. À la mort de ce dernier, débute une fructueuse collaboration avec Thomas Xavier de BIANCHI, un ancien protégé de son défunt camarade.  Ses talents en langues, en particulier en allemand, lui ont permis, sous la Révolution, de rentrer au ministère des Relations extérieures. Ancien élève des cours de langues orientales au Collège de France et à la Bibliothèque impériale, ce brillant polyglotte a intégré l’école française d’Istanbul en 1807 avant, quatre ans plus tard, d’être envoyé au consulat d’Izmir, où il démontrera rapidement ses talents d’interprète.  En 1816, nommé adjoint aux secrétaires interprètes du roi à Paris, il participe à plusieurs missions diplomatiques, dont une à Alger en 1829.

En 1831, BIANCHI publie, seul, Vocabulaire français-turc à l’usage des interprètes, des commerçants, des navigateurs et autres voyageurs dans le Levant, le premier du genre en langue française. Rapidement épuisé, ce livre connaîtra une seconde édition, considérablement augmentée, qui sortira en 1843. En parallèle, il apporte son aide à KIEFFER, qui travaille toujours sur la version turc-français. Mais atteint du choléra, ce dernier décède en janvier 1833. BIANCHI reprend alors le chantier lexicographique et, s’appuyant sur un manuscrit auquel il apporte un très grand nombre de corrections et d’additions,  il peut enfin achever le Dictionnaire turc-français à l’usage des agents diplomatiques et consulaires, des commerçants, des navigateurs et autres voyageurs dans le Levant, dont les deux tomes sont publiés en 1835 et 1837. Une seconde édition augmentée, celle présentée ici, est publiée en 1850.

Le contenu de l’ouvrage, très varié, fait parfois figure de petite encyclopédie du monde ottoman car, comme le précise BIANCHI, “cet ouvrage, ainsi que l’indique le titre, étant également destiné aux interprètes et généralement à tous les agents diplomatiques et consulaires du Levant, renferme souvent sur l’histoire, l’administration, les mœurs et les usages des Ottomans, des articles auxquels les auteurs ont dû donner plus d’étendue et de développement que n’en comportent les dictionnaires ordinaires”. Ce dictionnaire, dans lequel les entrées sont classées selon une graphie empruntée à l’arabe, sera suivi d’une version en phonétique à partir de novembre 1928. Notons que BIANCHI porte une grande attention aux expressions idiomatiques ou même aux tournures poétiques susceptibles de rentrer dans une conversation.

Très fier de son œuvre, BIANCHI se laisse aller à un certain lyrisme, estimant que son ouvrage est une étape pour “élever, pour le bien général de l’humanité, les idées encore arriérées des peuples de l’Orient au niveau de la civilisation du reste de l’Europe ; opérer, entre les Européens et les Orientaux, une fusion morale d’usages, de besoins, d’opinions et de mœurs ; anéantir pour toujours des antipathies et des préventions, tristes fruits de la différence des croyances et des guerres de religion ; donner une activité nouvelle au cours de nos transactions commerciales dans tout le Levant ; ouvrir enfin au commerce déjà si important et si universel de la librairie française un vaste et nouveau débouché ; tels sont les résultats certains que le goût de nos bons livres, l’influence de notre langue et la propagation des ouvrages propres à en faciliter l’élude devaient nécessairement amener en peu d’années”.

Membre de la Société de géographie, il poursuit son travail, dont une vaste Bibliographie ottomane qui fera de lui une figure éminente de l’orientalisme. Il meurt en 1864 mais son œuvre lui survivra, car il faudra attendre 1911 pour que le Dictionnaire turc-français de l’Arménien Diran KELEKIAN vienne sérieusement concurrencer le livre de KIEFFER et BIANCHI.

Dans notre exemplaire comme dans d’autres, la lettre L, intégrée dans la date et tronquée du fait d’un défaut d’impression, prend l’apparence d’un I. Cette coquille explique que le livre est parfois daté par erreur de 1801, ce qui est impossible au vu de l’historique de l’ouvrage.



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