Dictionnaire théorique et pratique de chasse et de pêche
Auteur(s) : DELISLE de SALES Jean-Baptiste-Claude
Plus d'informations sur cet ouvrage :
D’abord membre de la congrégation des Oratoriens, Jean-Baptiste ISOARD de LISLE, qui se fera bientôt connaître sous son nom de plume Jean-Baptiste-Claude DELISLE de SALES, vient se fixer à Paris afin de se consacrer à la littérature. Après des débuts laborieux, il demeure un polygraphe obscur jusqu’à ce qu’un événement le propulse sur le devant de la scène. Un de ses essais, jusque-là passé quasiment inaperçu, publié en 1770 et intitulé De la philosophie de la nature, est remarqué par un magistrat particulièrement zélé, qui le juge contraire à la morale et à la religion. En 1777, DELISLE de SALES, son éditeur et son imprimeur sont poursuivis en justice, et l’auteur de l’essai se voit condamner au bannissement à vie. Il fait appel du jugement et devient ipso facto un symbole de la liberté d’expression. À ce titre, il est soutenu par VOLTAIRE lui-même, et par de nombreuses personnalités qui viennent lui rendre visite en cellule et organisent une souscription en sa faveur. La sentence est finalement cassée et DELISLE de SALES profite de sa nouvelle notoriété pour devenir une figure du milieu littéraire parisien.
Mais à l’heure où il rédige l’ouvrage que nous présentons ici, le Dictionnaire théorique et pratique de chasse et de pêche, publié à Paris en 1769, il n’est encore qu’un écrivain de second rang, particulièrement prolifique dans de nombreux domaines comme la poésie, la littérature, l’histoire, les sciences, la géographie et la philosophie. Avec une modestie sans doute un peu forcée quand on reconnaît l’emphase de son style, il ne revendique ici qu’un simple travail de compilateur. DELISLE prend soin de citer d’emblée ses nombreuses sources, de XÉNOPHON à FOUILLOUX, et il rend un hommage appuyé aux travaux de BUFFON et de VALMONT de BOMARE sur l’histoire naturelle, dans lesquels il va largement puiser.
Soucieux de se démarquer d’une production déjà abondante sur le sujet, l’auteur et l’éditeur mettent en avant le fait que les dictionnaires déjà publiés “ne traitent que des animaux les plus ordinaires”, alors que “les animaux étrangers ne sont jamais rentrés dans l’objet des recherches de leurs auteurs”. Par cette approche, à une époque où l’histoire naturelle est un sujet particulièrement porteur, ils espèrent attirer un public plus large que les simples amateurs de cynégétique et de pêche. DELISLE de SALES ironise sur l’usage qu’en feront certains de ses lecteurs : “Il ne sera même pas inutile à ce petit maître qui, dans des sociétés subalternes, se fait le singe des grands, adopte leurs inclinations, adopte leurs manières & s’ennuie en les suivant à la chasse. Ce livre lui servira de nouvelles ressources pour briller dans les conversations à la mode & il le fera passer pour instruit.”
De même, l’auteur avance déjà sa conception de la philosophie de la nature, qu’il publiera l’année suivante : “Ce livre n’est point indifférent pour le philosophe. Il reconnaîtra la supériorité de notre être dans la facilité que nous avons à détruire les animaux, & il se plaira à étudier le cœur humain dans un amusement qui nous vient de la nature.” Le dictionnaire proprement dit est précédé d’une longue dissertation “philosophico-historique”, dans laquelle nous trouvons parfois d’étranges assertions, telles que “Le principe de notre supériorité est si établi dans la nature, que les animaux eux-mêmes semblent le connoître”, ou encore : “Ce n’est point le plaisir de détruire qui engage un philosophe à donner la mort à un tigre ou à un loup. C’est l’amour de l’humanité ; amour qui ne fut jamais incompatible avec le carnage.”
Comme annoncé, le dictionnaire présente un grand nombre d’animaux “exotiques”, comme le paresseux (appelé ici aï), la gazelle, l’agouti (orthographié agouthy) et l’étrange hoancycioyu, qui semble plutôt relever de la légende. Les plus longs développements restent réservés à des espèces bien connues, comme le hareng, le saumon, le canard et la morue. Une place de choix est réservée à deux animaux : le cerf, auquel sont consacrées plus d’une quarantaine de pages, et le loup, dont l’éradication à moyen terme reste alors un objectif majeur des autorités.
Remarquons au passage que l’auteur décrit ici la bête du Gévaudan, qu’il considère comme une hyène particulièrement féroce “qui avoit quarante dents”, et relate en détail la longue traque de ce mystérieux animal. Toutes les techniques de chasse et de pêche sont présentées, dont certaines désormais peu usitées, comme la chasse aux gluaux, au tric-trac, au miroir, à la ridée ou au plat d’huile, ainsi que les techniques de la chaloupe submergée et du bombardement utilisées pour attraper les carpes. Le dictionnaire est suivi d’un Traité de police françoise sur la chasse & sur la pêche, qui est un abrégé de la jurisprudence sur cette question très sensible en milieu rural, et source infinie de conflits.
Après son passage en prison, DELISLE de SALES ne jouira qu’un temps de sa célébrité, avant de retomber dans l’anonymat malgré son abondante production. Il sera souvent raillé par ses collègues pour sa pédanterie et ses hautes prétentions intellectuelles. Sous la Révolution, un de ses essais, traitant de la notion de République, lui vaudra d’être enfermé à la prison de Sainte-Pélagie, où il passera onze mois avant d’être libéré à l’occasion du coup d’État du 9 Thermidor. À la création de l’Institut national des sciences et des arts, il intègrera la classe de morale, mais, prenant la défense de collègues écartés par le Directoire, il sera exclu de l’institution en 1797. Retiré de la vie publique, il continuera à écrire jusqu’à sa mort en 1816.
Notre exemplaire comporte un ex-libris d’Hubert SANGNIER.