Dictionnaire portatif, historique et littéraire des théâtres
contenant l'origine des différens théatres de Paris; le nom de toutes les pièces qui y ont été représentées depuis leur établissement, & celui des pièces jouées en province, ou qui ont simplement paru par la voie de l'impression depuis plus de trois siècles; avec des anecdotes & des remarques sur la plupart: le nom, & les particularités intéressantes de la vie des auteurs, musiciens & acteurs; avec le catalogue de leurs ouvrages, & l'exposé de leurs talens : une chronologie des auteurs, & des musiciens ; avec une chronologie de tous les opéra, & des pièces qui ont paru depuis trente-trois ans
Auteur(s) : LÉRIS Antoine de
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Né en 1720 à Mont-Louis, village situé dans l’actuel département des Pyrénées-Orientales, Antoine de LÉRIS vient à Paris pour y suivre des études de droit. En parallèle, poussé par des besoins pécuniaires, il devient un des employés du libraire Charles-Antoine JOMBERT, qui éditera deux de ses livres : en 1753, La Géographie rendue aisée ou Traité méthodique pour apprendre la géographie, suivi, l’année d’après, par un Dictionnaire portatif des théâtres. De son propre aveu, dès octobre 1749, ce dernier livre était achevé mais des “raisons particulières” non précisées retarderont sa parution. En 1760, il achète une charge de premier huissier de la Chambre des comptes, dont la fonction consiste, entre autres, à estimer les biens de grandes familles aristocratiques, comme celle du comte d’ARTOIS ou du duc d’ORLÉANS. Cet emploi lui permet d’acquérir une sécurité financière bienvenue après des années d’un train de vie très modeste. En 1763, il peut publier, toujours chez JOMBERT, une nouvelle édition de son dictionnaire, dont le titre est modifié en Dictionnaire portatif, historique et littéraire des théâtres. C’est cet ouvrage qui va faire l’objet de notre billet.
Afin de rendre l’utilisation du dictionnaire plus aisée pour ses lecteurs, il fait le choix de diviser l’ouvrage en deux parties : “La première contient de suite le nom de toutes les pièces de théâtre, avec ce qui les concerne ; la seconde renferme, aussi dans l’ordre alphabétique, un abrégé de la vie des auteurs, musiciens & acteurs, avec l’exposé de leurs ouvrages dramatiques, dans l’ordre qu’ils les ont publiés, ou de leurs talents.” Il complète son livre par un exposé de l’histoire des théâtres parisiens, une table chronologique des auteurs, des musiciens, une autre table recensant les opéras présentés dans la capitale et, enfin, une liste générale des pièces jouées ou imprimées depuis 1729. LÉRIS ne remonte pas au-delà du XVIe siècle, de sorte que les farces et les mystères du Moyen Âge ne figurent pas dans son dictionnaire.
Véritable mine d’informations sur le théâtre parisien du XVIIIe siècle, le livre fourmille d’anecdotes et, à côté de grands classiques comme Les Femmes savantes, Le Cid, Le Misanthrope ou Andromaque, l’ouvrage permet de découvrir de nombreuses pièces totalement oubliées de nos jours, telles L’École des jaloux, Le Cocu volontaire, Les Comédiens esclaves, Le Tour de carnaval, Les Femmes salées, Les Vendanges de Suresnes, Les Stratagèmes de l’amour ou L’Avocat Patelin. De même, le lecteur contemporain peut découvrir l’existence de dramaturges, de compositeurs et d’interprètes célèbres en leur temps mais désormais peu connus du grand public, comme David Augustin de BRUEYS, abbé, théologien et auteur de comédies, DANCOURT, Louis de BOISSY, Louis FUZELIER, Pierre-Charles ROY, BEAUCHAMPS, Madame de STAAL, Jean de ROTROU, Alain-René LESAGE, Mademoiselle DUCLOS et BRÉCOURT.
Certaines œuvres sont dues à la plume d’auteurs devenus célèbres pour d’autres raisons, comme VOLTAIRE, ROUSSEAU ou DIDEROT. Lorsque plusieurs pièces ou opéras ont adopté le même titre ou un thème central très proche – par exemple Bérénice, Agamemnon, Les Amours déguisées, La Comédie des comédiens ou Cornélie -, LÉRIS les regroupe sous une même entrée où ils sont traités par ordre chronologique. Désormais aisé, en 1780 notre homme achète un domaine à Dannemois, où il décèdera en octobre 1795.
Quelques extraits
– L’Amour tyrannique, Tragi-Com. en 5 Ac. en vers de Scudéry, représentée en 1538. Elle se trouve imprimée dans le septième vol. du Théâtre François, & est très médiocre. L’auteur publia cependant des remarques pour faire observer les beaux endroits de sa pièce, qu’il trouvoit si parfaite & si achevée qu’il crut qu’Aristote auroit réglé sa Poétique sur cet excellent poème, & qu’il en auroit tiré d’aussi beaux exemples que de l’Œdipe de Sophocle. Sarrazin, sous le nom de Sillac d’Arbois, adressa à l’Académie françoise, en 1638, un discours pour prouver que cette pièce de l’Amour tyrannique étoit le chef-d’œuvre de la scène Françoife. Quel jugement !
– COLLETET (Guillaume), né à Paris le 12 mars 1596, étoit avocat en Parlement & au Conseil, de l’Académie françoise, où il fut reçu en 1634, & l’un des cinq auteurs choisis par le cardinal de Richelieu pour la composition des pièces de théâtre. Il mourut à Paris le 25 février 1659, & fut inhumé dans l’église de S. Sauveur. On peut voir le Catalogue de ses ouvrages dans l’histoire de l’Académie : l’unique qu’il ait donné seul dans le genre dramatique est la tragi-comédie de Cyminde. Il avoit épousé en troisièmes noces Catherine le Hain, sa servante, parce qu’elle savoit faire des vers.
– L’Actrice nouvelle, Com. en un Acte en vers qui fut imprimée en 1722, in-8° sans avoir été représentée, la demoiselle Le Couvreur, qui s’imagina qu’elle étoit faite sur elle, l’ayant empêché par un ordre supérieur. On attribue cette pièce à Poisson le fils, elle n’est cependant point dans ses œuvres, & quel qu’en soit l’Auteur, il ne paroît pas que son but ait été d’y satyriser la fameuse actrice qui s’en plaignit.
– CHAMMELÉ (La Demoiselle). Cette illustre Comédienne se nommoit Marie DESMARES ; elle étoit petite-fille d’un président au Parlement de Rouen, qui avoit deshérité son fils, parce qu’il avoit fait un mariage opposé à sa volonté : elle naquit dans cette ville en 1641, & débuta au Théatre du Marais en 1669. Elle avoit épousé CHAMMELÉ, qu’elle suivit aux différens théâtres où il fut, & mourut au village d’Auteuil le 15 mai 1698, peu de temps après avoir quitté la scène. Elle avoit joué fur trois théâtres, & a été célébrée par Despréaux, dans fon Epître à Racine, qui, dit-on, en fut longtemps amoureux, & faisoit exprès des rôles pour elle ; & par La Fontaine, dans les prologues de ses allégories de Belphegor & de Philemon.