Alimentation

Dictionnaire des aliments et des boissons en usage dans les divers climats et chez les différents peuples

Auteur(s) : AULAGNIER Alexis-François, AULAGNIER François-Marie-Adolphe

 Paris, G. MASSON éditeur, libraire de l'Académie de médecine, boulevard Saint-Germain et rue de l'Éperon, en face l'École de médecine
 
  1885
 1 vol (VI-888 p.)
 In-octavo
 demi-chagrinrouge, dos lisse orné de motifs et de filets dorés


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Fils d’un marchand-parfumeur de Grasse, Alexis AULAGNIER fait ses études à la faculté de médecine de Montpellier. Reçu comme docteur en 1789, il s’installe à Marseille, où un mariage avantageux lui permet de s’introduire dans la bonne société locale. Médecin à l’hôpital des armées, l’occasion lui est donnée de faire la connaissance de nombreuses personnalités, et il devient un proche du couple formé par Joseph BONAPARTE et Julie CLARY. Après la fermeture de plusieurs hôpitaux militaires en 1801, il sollicite ses relations pour trouver un nouvel emploi.

Monté à Paris, il devient le médecin officiel de son protecteur devenu entretemps roi de Naples, mais il n’a pas le temps de rejoindre son poste, Joseph ayant été placé par son frère en 1808 sur le trône d’Espagne. AULAGNIER se rend alors dans ce pays, où le nouveau souverain le comble d’honneurs, le nommant médecin en chef de l’hôpital militaire de la Garde royale puis, plus tard, inspecteur général du service de santé de l’armée. En 1813, il doit suivre la retraite des troupes françaises d’Espagne et, laissant tous ses biens derrière lui, c’est totalement démuni qu’il arrive en France. NAPOLÉON l’intègre à la Garde impériale, et en février 1814 le nomme médecin principal d’armée. À partir de la Restauration, placé en demi-solde, il n’exercera plus de haute fonction jusqu’à sa retraite.

Dès lors, il vit chichement mais tente de compenser son déclassement social et une dépression larvée en se tournant vers l’écriture. Il est l’auteur de plusieurs brochures et publications, mais l’ouvrage qui restera sa publication principale est son dictionnaire consacré aux aliments. La première édition voit le jour en 1830 sous le titre Dictionnaire desubstances alimentaires indigènes et exotiques et de leurs propriétés. Bien avant l’émergence du nutritionnisme, Alexis AULAGNIER entend revaloriser l’alimentation comme élément capital pour la santé : “C’est dans le régime de vie, et surtout dans le choix des aliments et des boissons qui peuvent convenir à notre tempérament, à notre âge, à notre profession, au climat que nous habitons, etc., que se trouvent ces moyens [qui contribuent à conserver la santé et à prévenir la maladie]. Seuls, ils deviennent très souvent salutaires dans un grand nombre de maladies.”

Dès l’‘Antiquité, plusieurs auteurs ont mis en avant la nécessité d’adapter l’alimentation à l’état de santé de l’individu, mais Alexis AULAGNIER peut s’appuyer sur des avancées scientifiques récentes, en particulier dans le domaine de la chimie et de la médecine, pour proposer un livre traitant des propriétés de différents aliments. Parlant de ses prédécesseurs, il avance que “privés des connaissances de la chimie moderne, qui, de nos jours, a marché si rapidement, il leur était bien impossible de s’assurer comment le principe alimentaire existe dans chaque substance ; quel en est le caractère spécifique, à quelle préparation on doit la soumettre avant d’en faire usage, puisque la saveur et même la propriété de beaucoup d’aliments changent avec le mode de leur préparation”. L’auteur émet l’idée que la nourriture, nécessaire à la vie, doit également être vue comme un des fondements de notre bien-être physique et même moral  : “Les aliments ne peuvent convenir à tous les hommes indistinctement ; les habitants des pays chauds, par exemple, doivent user d’une nourriture différente de celle des habitants du Nord, par la raison que ces derniers, n’étant pas affaiblis par la chaleur du climat, ont moins besoin de substances toniques et d’assaisonnements excitants ; enfin, la ration des jeunes gens ne doit pas être, pour la qualité, la même que celle des autres âges.”

L’ouvrage, novateur dans sa thématique, rencontre un beau succès. À peine cette version est-elle publiée que l’auteur entreprend de réviser son texte pour préparer une deuxième édition, qui paraît en 1839 sous un titre légèrement modifié : Dictionnaire des aliments et des boissons en usage dans les divers climats et chez les différents peuples. En guise d’introduction, la nouvelle mouture débute par un essai de 64 pages intitulé Considérations sur la nourriture de l’homme, qui est extrait du Dictionnaire pittoresque d’histoire naturelle de Gabriel GRIMAUX de CAUX. Alexis AULAGNIER est en train de préparer une troisième version de son livre, lorsqu’en décembre 1839 il est frappé par une congestion cérébrale, qui l’emportera quatre jours plus tard. Longtemps considéré comme un ouvrage de référence, son dictionnaire sera peu à peu concurrencé par d’autres livres traitant du même sujet, en particulier le Précis théorique et pratique des substances alimentaires et des moyens de les améliorer, de les conserver et d’en reconnaître les altérations, d’Anselme PAYEN.

François, le troisième fils d’Alexis AULAGNIER, suivant la tradition familiale, devient docteur en médecine en 1827. Au terme d’une brillante carrière, qui le verra devenir médecin en chef de l’École polytechnique puis, comme son père, médecin principal des armées, il met sa retraite à profit pour achever la troisième édition du dictionnaire entamé par son père. Cet ouvrage, celui que nous vous présentons, sera finalement publié en 1885.

Ce dictionnaire, qui se distingue d’un guide gastronomique, est consacré aux caractéristiques des produits (goût, texture, composition chimique, acidité, etc.), et à leurs propriétés sur l’organisme, en particulier digestives. Au fil des pages, l’auteur parsème son texte d’anecdotes glanées dans ses diverses lectures. Dans la liste des denrées présentées, se trouvent aussi bien des céréales, des fruits, des légumes, que les viandes de divers animaux, dont certains inattendus pour le lecteur de l’époque, comme l’hirondelle, le cochon d’Inde, l’hippopotame ou le chien. À propos de certains produits, AULAGNIER fustige les principaux procédés de falsification, dont certains très dangereux. C’est ainsi que le lecteur découvre que certains boulangers indélicats ajoutent de l’alun dans la farine pour la blanchir ou utilisent du sulfate de cuivre ou de zinc pour accélérer la fermentation. Nous apprenons aussi que le vin peut être parfois “adouci” par de l’acétate de plomb et de la céruse. Le thème des falsifications alimentaires, important sujet de santé publique, sera par la suite plus amplement développé par d’autres auteurs, en particulier par Alphonse CHEVALLIER dans son Dictionnaire des falsifications alimentaires.

Quelques extraits

*ABSINTHE OU ALVINE (Artemisia absynthium, L.). Plante vivace dont les fleurs, et surtout les feuilles, sont fort amères. On la trouve dans toute l’Europe. Dans le Nord, on en fait un vin appelé wermuth. On la substitue aussi au houblon. Mise dans l’eau-de-vie, elle est stomachique ; mais on ne doit pas en abuser. Cette liqueur convient aux flegmatiques et à certains vieillards. D’après les expériences de M. Braconnot, l’absinthe contient une matière azotée très amère, soluble dans l’eau froide, une matière azotée presque insipide, une résine extrêmement amère soluble dans l’alcool et l’eau bouillante, une huile volatile verte, de l’albumine, de la fécule, du sel de potasse, du ligneux et de l’eau.

*CANARD (Anas boscas, L.). Oiseau amphibie presque aussi gros que la poule, à bec large, et ayant beaucoup de rapport avec l’oie. Le mâle se nomme canard, la femelle cane et le petit caneton. Il y en a de différentes espèces : le grand, le petit, le sauvage, la cane de mer, le glaucus, le pénélope, le noir, le hurlé, etc. Celui qu’on élève dans les villes ne vaut rien comme aliment, parce qu’il se nourrit d’immondices. Aussi, les personnes dont le palais est délicat savent le distinguer de ceux qui vivent sous un ciel pur et dans les eaux courantes. L’abus de la chair du canard domestique peut donner lieu à la cachexie et au dépérissement, elle est sèche et de difficile digestion. Celui au contraire qui est élevé au grand air a une chair aussi agréable que saine ; on recommande surtout le foie et les ailes ; à Rome, la tête passait pour un morceau friand. Origène et Caton pensaient que la chair du canard sauvage convenait beaucoup à l’estomac. L’Antiquité tout entière semble s’être rangée à l’avis de ces deux philosophes ; Caton d’Utique poussait même trop loin la valeur de cet aliment, puisque si quelqu’un de ses amis venait à tomber malade, il ne lui ordonnait que des ramiers, des lièvres et surtout des canards. « Ces chairs, disait-il, sont légères et de facile digestion, et je mets en fait que c’est à ce seul régime et sans aucune recette médicale que je dois d’avoir toujours maintenu en santé ma famille et mes domestiques. On doit choisir cet oiseau jeune, gras et tendre. Cependant, tous les estomacs ne s’en accommodent pas, notamment les mélancoliques et les personnes sédentaires. »

*ÉRABLE À SUCRE (Acer saccharinum, L.). Arbre originaire du nord des États-Unis d’Amérique ; il croît naturellement dans la Pennsylvanie et le Canada ; il est encore fort rare en France. Il est grand, robuste, et soutient fort bien les grandes chaleurs ; son produit est d’une très grande ressource dans certaines contrées de l’Amérique, à cause du sucre qu’on en retire par incision ; d’abord, la liqueur est aqueuse et laisse dans la bouche un petit goût sucré fort agréable. L’eau d’érable est plus sucrée que celle du plane, et n’a jamais incommodé ceux qui en ont bu, même étant en sueur. Pour amener cette liqueur à l’état de sucre, on la fait évaporer jusqu’à la consistance d’un sirop très épais, et on la coule ensuite dans des moules de terre. Deux cents livres de cette liqueur produisent ordinairement dix livres de sucre. Les sauvages qui voyagent y mêlent un peu de farine et en forment une pâte qu’ils nomment quitera, laquelle est un aliment fort nourrissant. Le bon sucre d’érable doit être dur, de couleur rousse, un peu transparente, d’odeur suave et de saveur douce. On s’en sert comme de celui de canne ; on en vante l’usage pour les rhumes et les affections de la poitrine. Dans le Canada, il coûte moitié moins que celui de canne ; on ne peut l’employer dans le thé qu’après l’avoir réduit en poudre. Ces peuples en consomment étonnamment, parce qu’ils le mêlent à toutes leurs sauces, même aux viandes rôties. Il y a plusieurs espèces d’érables, dont on retire du sucre, mais en beaucoup moindre quantité que de celui-ci. Les habitants de la Louisiane mêlent la sève de l’érable avec une égale quantité d’eau et en font une liqueur très rafraîchissante, dont la saveur approche de celle du cidre. Enfin, en mettant cette sève dans des bambous, ils en obtiennent un vinaigre assez fort.

*GLUTEN. Le gluten est un principe immédiat des végétaux. On le trouve dans le froment, l’orge, et dans plusieurs graines, ainsi que dans les glands, les marrons d’Inde, etc. C’est à Beccaria et à Kessel-Meyer qu’est due sa découverte. Ils lui donnèrent le nom de végétoanimal, parce qu’il est de même nature que les matières animalisées. Son association avec la partie amylacée constitue un aliment très convenable à l’assimilation, et fait un dixième des semences céréales. Il est solide, mou, grisâtre, visqueux et insipide, d’odeur spermatique. C’est par lui que la farine fait pâte avec l’eau. Divisé par la fermentation et uni à l’amidon, il est nutritif. Il y a des pâtisseries où le gluten domine, parce qu’une partie de la fécule a été soustraite par le moyen de l’eau. La partie caséeuse du lait a beaucoup d’analogie avec le gluten. La farine qui en contient le plus est celle qui fait le pain le plus blanc, le plus léger et le mieux fermenté. On ne trouve presque plus de gluten dans les farines avariées. Il adhère aux substances sèches, et est susceptible de s’étendre en une lame mince ; sa saveur est fade. Le gluten est la plus nourrissante de toutes les substances dont se composent les aliments végétaux, et celle qui se rapproche le plus des substances animales. C’est ce qui place le froment au-dessus de toutes les céréales. Le blé des pays chauds et celui qu’on sème au printemps dans les climats tempérés contiennent plus de gluten que les autres. Linguet, ayant entendu parler du gluten, s’imagina que le pain était un poison, et prétendit que les peuples qui n’en mangeaient pas vivaient plus sainement et plus longtemps que les autres, ce qui ne l’empêcha pas d’en manger jusqu’à son dernier jour.



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