Musique, Humour, Burlesque

Dictionnaire burlesque

Dictionnaire aristocratique, démocratique et mistigorieux de musique vocale et instrumentale; dans lequel on trouve des digressions sur l'hippiatrique, la gastronomie et la philosophie hermétique et concentrée, pour consoler les personnes qui du vent de bise ont été frappées au nez, et recréer celles qui sont en misérable servitude du tyran d'Argencourt, le tout à l'usage des gens qui veulent raisonner sur l'art musical à tort et à travers sans blesser les lois ridicules du bon sens. Mis en ordre par Philârmonïalectryônoptékhèphaliokïogôovadibdïnn, publié en lanternois par Krisostauphe Clédeçol, docteur ferré, marqué et patentéé, professeur de castagnettes dans tous les conservatoires nationaux, étrangers, et autres, etc. Traduit par Ydâlôhtiistiphèjâldenpéàb, racleur de boyau

Auteur(s) : LEMESLE Charles, MEIFRED Joseph-Émile, LEDHUY Adolphe

 Paris, madame GOULLET, libraire, Palais-Royal, galerie d'Orléans
 édition originale
  1836
 1 vol. (XXI-252 p.)
 In-douze
 papier imprimé
 5 caricatures à la manière noire, 3 dans le texte, 2 hors-texte


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Avec ce petit ouvrage, nous avons affaire à un véritable ovni lexicographique qui s’apparente à la parodie loufoque d’un dictionnaire sur la musique, présentée sous la forme de dialogues surréalistes et absurdes relevant souvent du “nonsense” cher aux Britanniques.

Le titre qui figure sur la couverture et l’avant-titre est Dictionnaire burlesque, mais celui indiqué sur la page de titre est plus explicite sur le vrai sujet de l’ouvrage : Dictionnaire aristocratique, démocratique et mistigorieux de musique vocale et instrumentale. Le voyage dans l’absurde commence d’ailleurs dès cette page avec l’indication comme éditeur d’un certain kristauphe CLÉDEÇOL « docteur ferré, marqué et patenté, professeur de castagnettes », et comme traducteur de son collègue YDALOHTUSTIPHEJALDENPÉAB, « râcleur de boyau », le tout pour un prix net « à la volonté du marchand ».

Publié en 1836 chez madame GOULET, ou GOULLET, libraire au Palais-royal, l’identité de l’auteur de ce curieux livre demeure totalement mystérieuse. Si le nom de Joseph-Émile MEIFRED, compositeur et professeur au conservatoire de musique de Paris, revient le plus souvent, celui de Charles LEMESLE, écrivain polygraphe, auteur du curieux Misophilanthropopanutopies, et d’Adolphe LEDHUY, musicographe, guitariste et professeur, qui a également dirigé une Encyclopédie pittoresque de la musique publiée en 1835, sont également cités par d’autres sources. S’agit-il en fait d’une œuvre collective ? La question reste sans réponse.

Le livre prend la forme de la délibération d’une assemblée réunie pour composer « un livre précieux qui soit partout plein de fidèles instructions et sens parfaits ; qu’on l’admire comme un globe d’infinie doctrine, car il n’y aura autant à apprendre en un lieu qu’en l’autre, et l’on ne verra ligne, endroit, verset ou passage, qui ne soit farci de science mitigorique et concluante ». Cette assemblée fait penser à la séance chaotique d’une académie farfelue dans laquelle interviendrait une foule de personnages pédants, prétentieux, ridicules et comiques. Au nombre de plus d’une soixantaine, ceux-ci sont tous liés au monde de la musique : musiciens, compositeurs, interprètes, chefs d‘orchestre, professeurs, etc. ; et sont affublés de noms fantaisistes : MYRBALAIS, BRINGUENARILLES, TROUILLOGAN, FESSEPINTE, CLAQUEDENT, NECTABO, le duc de NIHIL, NAZDECABRE, LAMISTRINGUE, HIRSUTUS, DIATRIONTONPIPERONE, NAZILLARD, LYCONPHRON, LA RANCUNE, etc. Comme on pouvait s’y attendre, l’ordre alphabétique est d’emblée bouleversé car le dénommé COQUEFREDOUILLE déclare dès le prologue : « Lettre A ? Pour qui me prenez-vous ? Suis-je tombé si bas dans votre estime que vous me croyiez capable de commencer un dictionnaire en suivant l’ordre trivial et populaire indiqué par l’alphabet ? ». Zurna ouvre ainsi ce dictionnaire peu orthodoxe, qui s’achève par Amour-propre.

Les définitions sont insérées dans la discussion entre les protagonistes, le mot défini étant alors seulement mis en valeur par des caractères majuscules. Chaque mot fait ensuite l’objet de commentaires plus ou moins enflammés, émaillés de néologismes savoureux, tels que Perfectibiliorité, Encornifistibulantes et Micropianistiques, ainsi que de nombreux mots archaïques peu usités comme Naturance, Rapetasser, Mirelifique et Consuétude. L’orthographe est également fantaisiste, variant d’une page à l’autre, voire d’une ligne à l’autre. L’auteur fait explicitement référence à RABELAIS en donnant à un de ses personnages le non d’ALCOFRIBAS et en faisant référence au Lanternois à plusieurs reprises.

Pour qui cherche à déchiffrer le sens de ce dialogue burlesque, il est possible de considérer qu’il se veut être une charge contre la musique “moderne” qui domine alors en France et en Europe, c’est-à-dire la musique romantique, ici qualifiée de “mistigorieuse”. Quel qu’il soit, l’auteur ne goûte guère les compositions et la scénographie contemporaines décrites comme surchargées et peu harmonieuses. Il en a surtout après la nouvelle composition des orchestres, ainsi qu’en témoigne le dialogue suivant :

— LAMISTRINGUE : On trouve bien encore par-ci par-là quelques artistes qui comprennent et exécutent ce qu’ils appellent la musique de bonne école ; ils ont tort. Il faut s’éloigner désormais de toutes les méthodes ordinaires quelque bonnes qu’elles soient…

— BRUSCAMBILLE : Depuis que le tam-tam est adopté dans les chambres de malades et que le cong indien a remplacé la sonnette de table, il a fallu monter différemment les orchestres, renforcer les intrumens et varier la musique… un corps de musique ne peut s’appeler orchestre s’il n’est composé ainsi qu’il suit : 141 cornemuses, 351 violons en cuivre, 101 altos en ferblanc, 51 violoncelles en airain, 25 contrebasses en plomb, 13 harpes en fer, et montées en cordes de laiton, 11 serpens en cuivre rouge, 75 trombones en zinc, 81 trompettes en tôle, 67 cornets à pistons en caoutchouc, 27 paires de cymbales, 29 cloches de différentes sortes depuis 80 jusqu’à 5 milliers, 300 ophicléïdes, 200 cornets en terre cuite… Dans les grandes représentations, chaque musicien portera des clochettes de mulet aux oreilles, il devra en outre porter un lampion à la résine sur sa tête qu’il agitera selon le caractère des morceaux.

Le propos est parfois nébuleux, car le ou les auteurs semblent viser des membres de la scène musicale parisienne par des allusions et des piques difficiles à décrypter pour les non-initiés. Peu sensible à la loufoquerie de l’ensemble, QUÉRARD écrira une quinzaine d’années plus tard, dans ses Supercheries littéraires : « L’auteur de ce dictionnaire a-t-il trouvé au moins un lecteur qui ait bien compris ses plaisanteries ? Nous en doutons. »

Le Dictionnaire burlesque s’ouvre par une série de citations incongrues dans diverses langues, une dédicace « à mon ami SORNUGIPILIQUID », une curieuse table des matières en forme de losange, les noms des intervenants disposés en sablier, et un avertissement de l’auteur “aux musicantrophiles”.

Morceaux choisis

Roulade

— COQUEFREDOUILLE : Il y a des chanteurs et des instrumentistes qui sont incapables d’exécuter nettement quatre mesures ; eh bien ce sont précisément ces artisteslà qui embéguinent tous les airs sous des torrens de notes, et je défierais le plus habile musicien de reconnaître un motif qui eût le sens commun sous les fanfreluches recroquevillées et les ornemens flasques de ces barbouilleurs.

— SONGECREUX : Que vous êtes naïfs ! c’est justement pour déguiser leur ignorance qu’ils essayent d’ajouter aux simples mélodies.

— POZONOKHOLOJOBONOCOROZ : Ces musicienslà ont quelque analogie avec mon maître ; ne pouvant m’enseigner le français, sa langue maternelle qu’il parlait comme un cuistre, il imagina de me donner des leçons d’hébreu et de sanskrit.

— BRUSCAMBILLE : Donnez-moi son adresse.

Artiste

— ALCOFRIBAS : C’est un titre qui sert de passeport pour le pays de la folie, où l’on visite gratis la province de l’absurdité et le département de la bêtise.

— CARPALIM : Quand on s’avoue artiste, on peut essuyer ses doigts à ses habits, être débraillé comme un âne sans croupières, porter une coiffure semblable à un bouquet de chardons, se vautrer sur un canapé au milieu de plusieurs dames qu’on chiffonne et qu’on souille, siffler haut et parler bas, pleurer en société, rire tout seul, prendre un vomitif pour avoir l’air abattu, faire le distrait pour se faire remarquer, se découper les oreilles en festons, se passer un anneau dans les cartilages, avoir chez soi des meubles bizarres mais antiques et inutiles, marcher dans des bottes percées avec des chaussettes sans semelles, porter des diamants avec du linge sale, ou du linge blanc avec un visage sale, en un mot passer son temps à rêver aux moyens les plus singuliers pour être tiré de la foule.

Recette pour avoir du génie

— MATAMORE : Xarnhpdeznhzz coephzbb nëpthôpernnhndphzn ptzïôézr comhbaùmpeeerbie [et ça se poursuit ainsi sur trois pages et dix chapitres avant de conclure : ] Le résultat est infaillible, et c’est pour ne pas passer pour un charlatan que je passe sous silence le nom des musiciens que cette recette a doué d’un rare génie !

NB : cet ouvrage aurait eu toute sa place dans les deux billets (ici et ici) que nous avons consacrés aux dictionnaires parodiques.



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