Code et cryptographie, Correspondance

Dictionnaire abréviatif chiffré

servant à la transmission des dépêches confidentielles

Auteur(s) : SITTLER F.-J.

 Paris, Librairie centrale des arts et manufactures, Auguste LEMOINE, 15, quai Malaquai
 deuxième édition (la première date de 1868)
  1872
 1 vol. (100 pages paginées à la main)vil.
 In-douze
 percaline bordeaux, titre en lettres dorées


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Dans le cadre de notre billet sur les dictionnaires codés et cryptés, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le Dictionnaire abréviatif chiffré, plus communément appelé le code Sittler, d’après le nom de son auteur. Un exemplaire du livre venant d’intégrer la collection Dicopathe, nous sommes en mesure de présenter de manière plus détaillée ce dictionnaire d’un type un peu particulier.

Certes les codes secrets existaient depuis la plus lointaine Antiquité afin de garantir par des moyens plus ou moins élaborés la confidentialité des correspondances, mais la cryptographie connaîtra un renouveau au cours du XIXe siècle avec le développement d’un nouveau moyen de communication qui facilite grandement la messagerie : le télégraphe, d’autant que la pose de câbles sous-marins va rapidement permettre en quelques décennies de relier îles et continents. D’abord aérien avec le système Chappe, puis électrique, le télégraphe fonctionnera en suivant un code préétabli décrypté à l’arrivée ; celui mis au point par Samuel MORSE s’imposera bientôt comme le code de référence.

Fonctionnant sans signaux graphiques, le courrier télégraphique souffre du défaut majeur de non-confidentialité. En effet, en transitant par l’administration des postes et des télécommunications, le message passe dans toute une série de “mains étrangères” avant de parvenir à son destinataire. Les militaires imaginent très vite de recourir à leur propre système pour crypter leur correspondance, mais ils ne sont pas les seuls ; les entreprises, les banques et même certains particuliers sont dans l’attente d’un système qui leur permettrait de coder aisément leurs messages.

La loi du 13 juin 1866 autorise les particuliers à correspondre en chiffres par le télégraphe, ouvrant ainsi la voie à la création d’un code à usage privé. En 1868, un certain F.-J. SITTLER, au sujet duquel on ne dispose pour seule information qu’il fut un ancien fonctionnaire des services télégraphiques, publie son Dictionnaire abréviatif chiffré. Son ouvrage, bien que précédé par le Dictionnaire de la correspondance télégraphique secrète publié l’année précédente par un certain BRUNSWICK, va s’imposer en France et même à l’étranger.

Le système ici présenté n’a rien d’original en lui-même puisqu’il se base sur un lexique dans lequel les mots, qu’ils soient noms communs, noms de lieux ou verbes, correspondent à un chiffre. Mais avec ingéniosité SITTLER imagine un lexique non figé destiné à être complété et surcodé par l’utilisateur lui-même ; par anachronisme, on peut dire que, pour être efficace, ce livre doit être personnalisé et interactif.

Le Dictionnaire abréviatif chiffré est composé d’une centaine de pages dont chacune d’entre elles comprend une série de mots numérotés de 00 à 99 et respectant un ordre alphabétique traditionnel. Mais le code Sittler se singularise par le fait que le livre n’est pas paginé, l’utilisateur devant le faire à la main, et ce de manière suffisamment subtile pour compliquer toute tentative de déchiffrage malveillante. Dans l’exemplaire en notre possession, la première page est numérotée 35, et l’utilisateur du code ne s’est pas ici compliqué la tâche outre-mesure car il continue ainsi jusqu’à 100 avant de reprendre au 01.

Une fois la pagination complétée, à chaque mot correspond un chiffre composé de son numéro à deux chiffres et du numéro de la page. Pour exemple, dans l’exemplaire ici présenté Merci a pour numéro le 04 et se trouve sur la page 91, ce qui donne le nombre 9104. Pour compliquer les choses, il est également possible de joindre une clé, c’est-à-dire intervertir les chiffres ou choisir un nombre à soustraire ou à ajouter à celui indiqué sur le message pour retrouver la bonne référence. Ce mode d’emploi finalement assez simple et à la portée de tous offre des possibilités nombreuses sinon infinies. De plus le livre, d’un petit format commode, ne coûte en 1872 que la somme modique de cinq francs.

L’autre idée géniale du concepteur est d’avoir laissé des blancs dans plusieurs pages, ce qui laisse à l’usager la possibilité de rajouter des termes spécifiques et surtout des noms propres. Ici, l’utilisateur a inscrit HALBIG au numéro 20 de la page 79, et KHÉRÉDINE au numéro 96 de la page 85. Chaque dictionnaire étant unique, il est possible de le renouveler régulièrement voire d’en utiliser plusieurs simultanément ou alternativement. Seule mais importante limite à l’usage du code, les correspondants doivent disposer du même ouvrage de référence et de la clé du code préétabli s’il y en a une. Ce système reste donc dépendant d’une source matérielle qu’il convient de protéger impérativement, car il est bien connu que rien n’est plus dangereux qu’un code cassé à son insu.

Notre livre a été acheté à la librairie internationale LORENTZ & KEIL, dans le quartier de Péra à Constantinople. Une note manuscrite indique qu’un exemplaire a été expédié à la Banque liégeoise le 11 juin 1880. Censé être au service de tout un chacun, c’est dans le domaine du commerce que le code Sittler va trouver son principal domaine d’application en garantissant le secret des affaires et la confidentialité des transactions. Les livres de correspondance codés prendront d’ailleurs rapidement le nom générique de codes commerciaux, ce qui explique que le répertoire de notre dictionnaire comprend un très grand nombre de termes commerciaux, économiques, industriels et juridiques. Mais il sera aussi largement utilisé, pendant des décennies, par les administrations et les services diplomatiques, qu’ils soient français ou étrangers.

Bien que SITTLER affirme dans son ouvrage qu’« on peut ainsi créer un nombre infini de clefs absolument indéchiffrables », son dictionnaire ne peut prétendre éternellement à l’inviolabilité. En effet un code court toujours le risque d’être cassé du fait d’une maladresse, de mots trop récurrents, d’une trahison ou d’un travail de contre-espionnage.

Le Dictionnaire abréviatif a été couramment utilisé en France jusqu’à l’entre-deux-guerres et a fait l’objet d’un grand nombre d’éditions.



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