Philosophie, culture générale, Pensées

Alambic moral ou Analyse raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme (L’)

Auteur(s) : ROUILLÉ d'ORFEUIL Augustin

 à Maroc [sans doute Paris]
 édition originale
  1773
 1 vol (XII-570 p.)
 In-octavo
 basane marbrée, dos lisse ornés de filets et de motifs floraux dorés, encadrement de triple filet doré sur les plats, tranche dorée, pièce de titre verte
 bandeaux décoratifs, lettrines, culs-de-lampe


Plus d'informations sur cet ouvrage :

En 1773 sort un recueil de pensées et de maximes morales et philosophiques appartenant à un genre alors très en vogue dans la France des Lumières. L’ouvrage, intitulé L’Alambic moral, celui présenté ici, est supposé avoir été édité au Maroc, ce dont on ne peut que douter… L’auteur, qui se cache sous le pseudonyme de « L’Ami des François », sera par la suite identifié comme étant un certain Augustin ROUILLÉ d’ORFEUIL, un colonel qui deviendra brigadier des Dragons. Ce dernier serait déjà l’auteur d’un texte prétendument publié à Constantinople en  1771, lui aussi intitulé L’Ami des François, dans lequel il expose ses réflexions sur la politique, la société et l’économie. Bien des similitudes existent entre les deux livres, en particulier un style curieusement alambiqué et la présence permanente de points de suspension qui rendent la lecture hachée comme celle d’un manuscrit raturé et non achevé. Simultanément à L’Alambic moral, un autre texte, cette fois-ci édité à Ispahan (!), est publié sous le titre de L’Alambic des loix ou Observations de l’ami des François.

Mais l’incertitude demeure quant au nom de l’auteur véritable, certains préférant attribuer la paternité de l’œuvre à un homonyme, cousin du précédent, Gaspard-Louis ROUILLÉ d’ORFEUIL. Intendant de la généralité de Châlons entre 1764 et 1790, ce grand commis de l’État, célèbre pour son esprit charitable et son goût de la philosophie, pourrait être celui qui se cache derrière les trois livres cités plus haut. Cependant, si la question de la paternité du livre n’est pas totalement tranchée entre les deux cousins, pour les exégètes la balance semble plutôt pencher en faveur d’Augustin.

Dans un livre qui s’apparente à un dictionnaire philosophique, l’auteur, quel qu’il soit, passe en revue une multitude de thèmes comme  l’accouchement, la gabelle, l’adultère, l’agriculture, les mœurs, les banqueroutes, le cadastre, la polygamie, les courtisanes, la famine, les fêtes, l’hôpital, les loteries ou encore le divorce, dont il considère que “lui seul peut réellement arrêter les progrès de la corruption des mœurs, parce que lui seul tient véritablement en équilibre l’espérance & la crainte, qui sont les deux seuls vrais mobiles de l’homme“. Comme beaucoup de philosophes de son temps, l’auteur alterne des vues progressistes avancées avec des positions plus conservatrices, tout particulièrement sur l’égalité, la république ou le féminisme, à propos duquel il va jusqu’à écrire : “La femme a été créée pour contribuer au bonheur de l’homme ; elle ne peut même être heureuse elle-même qu’en s’occupant uniquement de ce premier devoir.”

En 1788, un Répertoire universel portatif sera publié à Paris sous la signature d’Augustin ROUILLÉ.  Rédigé dans la même veine que les deux « Alambics », il en reprendra une grande partie du contenu.

Notre exemplaire comporte un ex-libris au nom de la famille RICHARD d’AUBIGNY.

Quelques exemples (les points de suspension et les tirets d’origine sont ici reproduits à l’identique) :

*ACCOUTUMER … L’homme s’accoutume à tout, quand il le veut fortement … velle fortiter … il n’est question que de bien vouloir. – Quand il ne vient pas à bout de prendre ou de perdre une habitude, il est certain qu’il ne l’a pas bien voulu, et n’a pas fait d’efforts réels … cela est démontré, quand on voudra rentrer en soi-même, & s’examiner à la rigueur avec vérité & sans foiblesse, on sera forcé d’en convenir. Mais il n’est pas aussi facile d’accoutumer les autres à nos caprices … à nos humeurs … à nos foiblesses – chacun songe à soi, & à son intérêt personnel … on nous passe quelquefois ce qui n’attaque pas directement cet intérêt … mais chacun défend avec ardeur sa tranquillité … ses jouissances … sa liberté … & traite comme ennemi quiconque les attaque.

*ÉTUDIER … Il faut encore le savoir-faire … Il ne suffit pas d’entasser dans sa mémoire beaucoup de phrases, de mots, & même de pensées … il faut au contraire ne prendre que la quintessence de chaque chose, & la mettre à sa vraie place, en se rappelant en même temps tout ce qui peut y avoir rapport … cette trace, une fois liée à toutes les idées qui lui sont analogues, représentera à propos ces idées, dès qu’on en aura besoin.

*DÉMOCRATIE … On appelle ainsi une espèce d’État, dans lequel le gouvernement seroit absolument abandonné au peuple … mais cela ne pourroit pas exister réellement … chaque particulier, sans cesse occupé de ses affaires, ou à se procurer la subsistance, a-t-il le temps de réfléchir sur les affaires de l’État ? […] C’est une illusion dont un petit nombre d’ambitieux se servent … ils se concilient, à force de bassesses, la confiance du peuple … s’emparent du gouvernement, sous les noms de liberté & de patrie … font croire au peuple que c’est lui qui règne … ils ont soin de l’entretenir dans une ivresse fanatique continuelle … mais ce gouvernement ne peut pas exister longtemps, parce qu’il est toujours nécessairement fort orageux … c’est un flux & reflux continuel … ces ambitieux, ayant des âmes basses, n’ont aucune des qualités nécessaires pour gouverner … ils sont tôt ou tard eux-mêmes les victimes de cette fureur qu’ils ont inspirée. Il faut à tout mouvement un point central, d’où tout parte, & où tout se réunisse.

*LES ARTS … sont de quatre espèces, nécessaires … utiles … nuisibles … & indifférens — Les deux premières espèces sont celles qui ont rapport aux besoins réels & à l’usage de l’homme … ils doivent toujours être protégés & encouragés — Mais les deux dernières, qui n’ont pour objet que le luxe & les fantaisies, doivent être poursuivies jusqu’à leur totale extinction … elles nécessitent la confusion des états ou classes … la ruine des familles … la corruption des mœurs … entretiennent & nourrissent le luxe, le plus dangereux ennemi de toute société … en un mot, engendrent tous les vices qui ont produit les maux dont nous sommes accablés.

*NOBLESSE … seroit une chimère, quand même on seroit sûr d’être fils de celui dont on porte le nom … à plus forte raison dans ce siècle … &c… Je défie l’homme le plus éloquent de me prouver que je dois respecter un imbécile, un sot ou un fripon, parce qu’il porte le nom d’un homme qui a été utile à la patrie, & qu’il a dans son armoire un morceau de parchemin, qu’il ne sait ni ne saura jamais lire.



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