Acanthologie, ou dictionnaire épigrammatique
Recueil, par ordre alphabétique, des meilleures épigrammes sur les personnages célèbres, et principalement sur ceux qui ont marqué depuis les commencement de la révolution
Auteur(s) : FAYOLLE François-Joseph-Marie
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À l’origine, dans l’Antiquité classique, les épigrammes étaient de brèves inscriptions dédicatoires placées sur des monuments, des statues ou des tombeaux. À partir de la Renaissance, ce genre redevient à la mode, mais cette fois avec une nette connotation satirique. Petites poésies, saynètes, monologues, épitaphes ou dialogues imaginaires, elles peuvent être très courtes, limitées à deux lignes ou un quatrain, ou s’étaler sur une page ou deux. Les épigrammes, écrites en vers avec des rimes plus ou moins riches, prennent par la suite la forme de très courtes poésies. Leur brièveté ainsi que leur style poétique permettent de les distinguer des pamphlets et autres libelles, beaucoup plus directs et généralement suffisamment longs pour faire l’objet d’une publication.
Utilisées pendant des siècles pour contourner la censure et permettre à leurs auteurs de se réfugier derrière un certain anonymat, ces épigrammes, relayées par des gazettes et le bouche-à-oreille, constituent des armes redoutables pour dénoncer, attaquer et ridiculiser une personne, une œuvre ou une institution, et ce, bien avant les réseaux sociaux. Ces courtes satires, souvent jugées mineures et futiles, appartiennent pourtant à un genre très apprécié devenu indissociable de la vie intellectuelle des XVIIe et XVIIIe siècles. Cette spécialité littéraire, de qualité souvent très variable du fait d’une production massive, prend la forme de véritables mots d’esprit, ciselés, incisifs et vachards, mais dans certains cas elle peut s’apparenter aussi aux productions des chansonniers et des amuseurs professionnels.
Quoi qu’il en soit, l’épigramme est fort appréciée du public, qu’il soit élitiste ou populaire, et de grands noms des arts et des lettres la pratiquent sans réserve, tel BOILEAU, auteur de nombreuses épigrammes, qui écrivait à leur sujet : “L’épigramme, plus libre en son tour plus borné, n’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné.” Après le Grand Siècle et le Siècle des lumières, périodes fastes pour ce genre “littéraire”, celui-ci prend toute sa place sous la Révolution française, l’Empire et la Restauration, en jouant le rôle d’un exutoire bienvenu face aux troubles et aux aléas d’une vie politique mouvementée. C’est dans ce contexte qu’en 1817 est publié un ouvrage au titre un peu énigmatique : Acanthologie ou Dictionnaire épigrammatique. Le joli néologisme du titre est issu du mot grec akantha qui, signifiant épine, donnera ensuite le nom d’acanthe à une plante épineuse. Le terme acanthologie, qui rappelle habilement le terme « anthologie », peut donc se définir comme l’art de “cueillir les épines”. Ce mot, forgé pour l’occasion, permet au final de désigner un recueil d’épigrammes constituant une collection de piques à l’encontre de tiers.
L’auteur de cet ouvrage est François-Joseph-Marie FAYOLLE, qui, à l’origine, ne semblait pas être destiné à une carrière littéraire et artistique. Entré en 1792 au corps des Ponts et Chaussées, puis chef de brigade à l’École polytechnique, il témoigne de grandes facilités dans le domaine des mathématiques. Mais, après avoir assisté pendant quelques années au cours de Louis de FONTANES, il se tourne résolument vers la littérature, mais également, avec succès, vers la musique et la critique musicale. Très productif, il publie, entre autres, un Discours en vers sur la littérature et les littérateurs et un Dictionnaire historique des musiciens.
Le dictionnaire est précédé d’une dédicace et d’une préface sous forme d’épigramme, dont le sens nous semble aujourd’hui quelque peu obscur. Les textes sont classés selon le nom de la personnalité ciblée et non celui de l’auteur, lequel demeure souvent anonyme. Dans son ouvrage, FAYOLLE prend clairement le parti de privilégier le XVIIIe siècle, même s’il reprend des épigrammes rédigées sous le Consulat, l’Empire ou le siècle de LOUIS XIV.
Parmi les auteurs cités dans cette anthologie de vers, au mieux moqueurs mais le plus souvent féroces et impitoyables, nous retrouvons bien sûr les noms de VOLTAIRE, CHAMFORT, RACINE, BOILEAU, ou encore celui du fameux polémiste RIVAROL. Pour autant, d’autres écrivains beaucoup moins connus aujourd’hui mais à la plume particulièrement acérée fournissent le gros du bataillon des auteurs cités, comme Alexis PIRON, Marie-Joseph CHÉNIER, Jean-François de LA HARPE et surtout Ponce-Denis ÉCOUCHARD-LEBRUN qui, à lui tout seul, fournit plus du quart des citations. FAYOLLE ne s’est pas oublié, se citant lui-même pour des épigrammes rédigées à son encontre, telle celle-ci : “FAYOLLE peut un jour agrandir son destin : la gloire du distique est l’espoir du quatrain.”
L’auteur ne s’attarde pas, sans doute par prudence, sur les hommes politiques et les gens au pouvoir, mais il reprend des épigrammes visant certains personnages emblématiques, exilés ou décédés, comme MIRABEAU, NAPOLÉON ou FOUCHÉ. ROBESPIERRE (orthographié ROBERSPIERRE) a droit à une rubrique et à ce distique : “Passant, ne pleure point son sort / S’il était en vie, tu serais mort.” C’est surtout le milieu des lettres, du journalisme, du théâtre et des arts qui est choisi pour cible, avec des traits d’esprit acides et peu indulgents. On y découvre que les écrivains règlent souvent leurs comptes par ce biais, que ce soit pour discréditer l’oeuvre d’un collègue, le ridiculiser ou répondre à une attaque. Dans un jeu de massacre souvent réjouissant, l’agresseur devient souvent l’agressé et répond en retour. RACINE se moque sans ménagement du Genséric de Madame DESHOULIÈRES, ou des pièces de Jacques PRADON. VOLTAIRE déverse sa bile sur PIRON (et vice-versa), tandis que LEBRUN charge presque tous ses contemporains. Les membres de l’Académie constituent des têtes de Turcs de choix pour les libellistes de tout poil, comme Antoine FURETIÈRE, attaqué par son ancien ami LA FONTAINE, le premier reprochant au second de ne l’avoir guère soutenu lors de sa procédure d’exclusion.
Jusqu’à sa mort survenue en 1852, FAYOLLE consacrera la plus grande partie de son énergie à la musique, dont il deviendra un critique réputé. Il cessera de publier sous son nom, tout en participant à des œuvres collectives, comme la Biographie universelle, ainsi qu’à de nombreux périodiques.
Quelques exemples
Sur la mort de M. d’AUBE (neveu de FONTENELLE), par VOLTAIRE : “Qui frappe là ? dit Lucifer / Ouvrez, c’est d’Aube / Tout l’enfer, à ce nom, fuit et l’abandonne / Oh ! oh ! dit d’Aube / En ce pays, on me reçoit comme à Paris / Quand j’allais voir quelqu’un, je ne trouvais personne.”
BAOUR par LEBRUN : “De cet eunuque bel esprit / Que l’enveloppe est épaisse ! / BAOUR se nourrit de gloire / Aussi voyez comme il engraisse.”
BAOUR (encore) par LEBRUN : “Ci-gît l’eunuque du Parnasse / BAOUR dont l’impuissante audace / En ratant sa femme et LE TASSE / n’a laissé ni gloire ni race !”
LA CONDAMINE par PIRON : “LA CONDAMINE est aujourd’hui / reçu par la troupe immortelle / Il est bien sourd ; tant mieux pour lui / Mais non muet ! Tant pis pour elle !”
RIVAROL sur MIRABEAU : “Français, pleurez le sort de MIRABEAU l’aîné / Plus d’adresses, plus de harangues / Il va mourir empoisonné / L’autre jour en dînant, il s’est mordu la langue !”