Histoire du moyen-âge, Civilisation médiévale

Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carolingienne à la Renaissance

Auteur(s) : VIOLLET-LE-DUC Eugène Emmanuel

 Paris, veuve A. MOREL et Cie, éditeurs, 13, rue Bonaparte
 nouvelle édition (la première date de 1858)
  1874-1875
 6 vol. (environ 3 000 pages)
 In-quarto
 basane beige, dos à cinq nerfs, caissons ornés de motifs floraux, pièces de titre et tomaisons de maroquin rouge
 très nombreuses illustrations dans le texte, 117 planches hors texte dont 43 chromolithographies


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Architecte de formation, Eugène Emmanuel VIOLLET-LE-DUC bénéficie dans sa jeunesse d’un milieu familial très favorable à l’épanouissement de sa vocation. Son père, bibliophile et érudit, occupe un poste de conservateur des résidences royales, et son oncle, Étienne-Jean DELÉCLUZE, est peintre et critique d’art renommé. Le jeune architecte se prend de passion pour la période médiévale, la France connaissant alors, dans le sillage de la Grande-Bretagne, un renouveau de l’art gothique. Inspecteur général des monuments historiques, Prosper MÉRIMÉE favorise la restauration des monuments anciens et la diffusion de l’esthétique néogothique. En 1840, il confie à VIOLLET-LE-DUC, qui a refusé de suivre la formation académique de l’École des beaux-arts de Paris, le poste d’architecte de la restauration de la basilique de Vézelay. Ayant rempli sa mission avec succès, il se voit confier d’autres projets prestigieux, en particulier le chantier de la basilique Saint-Denis, la cité de Carcassonne et la restauration de Notre-Dame-de-Paris.

En dehors de son travail d’architecte, VIOLLET-LE-DUC mène un travail de théoricien et d’historien de l’art spécialisé dans le gothique qu’il considère comme la quintessence d’un art national longtemps méprisé. Dépassant la simple considération esthétique, il ambitionne de décrire la civilisation médiévale française dans son ensemble. Dans ce but, il forme un vaste projet encyclopédique pour pouvoir reconstituer sa période de prédilection en s’appuyant sur le témoignage de ses productions : objets, bâtiments, vêtements…

Ce travail d’historien, d’archéologue et d’esthète comporte deux volets. Dès 1854 il entame la rédaction d’un Dictionnaire raisonné de l’architecture française, du XIe au XVIe siècle, dont la parution en dix volumes s’étale jusqu’en 1868. Simultanément, il travaille à un deuxième ouvrage intitulé Dictionnaire raisonné du mobilier français, de l’époque carolingienne à la Renaissance, dont le premier tome est publié en 1858. Ne pouvant mener de front ces deux ambitieuses entreprises éditoriales, VIOLLET-LE-DUC concentre dans un premier temps l’essentiel de son effort au dictionnaire d’architecture et délaisse celui du mobilier pendant dix ans, jusqu’à la réédition de son tome 1 en 1868. Les 8 parties du dictionnaire du mobilier, regroupées en 6 tomes, seront enfin achevées après la guerre de 1870, et sa publication par la maison MOREL s’étalera entre 1871 et 1875.

Le terme de “mobilier” utilisé pour le titre du livre est trompeur car très réducteur. Si le premier tome est effectivement consacré aux meubles, le deuxième décrit les ustensiles, l’orfèvrerie, les instruments de musique, les jeux et les outils ; les troisième et quatrième tomes décrivent les vêtements et les objets de toilette ; les cinquième et sixième volumes, les armes de guerre offensives et défensives. L’auteur s’efforce de reconstituer un véritable panorama de la vie matérielle au Moyen Âge, retenant aussi bien des chefs-d’œuvre d’artisanat que des objets prosaïques et ordinaires. Pour VIOLLET-LE-DUC, la démarche se doit d’être “anthropologique” : « Pour connaître une époque, pour prendre une idée quelque peu exacte de ses habitudes, de ses mœurs, il ne suffit pas de choisir, parmi les objets qu’elle nous a laissés, certains types rares et précieux, exceptionnels. » Il va ainsi à contre-courant d’une certaine conception de la muséologie : « Les musées, bien plus faits pour la montre que pour l’étude, dédaignent ces produits vulgaires, qui sont cependant les manifestations les plus instructives de l’état d’une civilisation… Or ce n’est pas par l’examen des objets de luxe que l’on peut juger une époque, mais au contraire par les produits les plus usuels. »

Obéissant à un classement alphabétique, les articles sont détaillés et retracent l’évolution stylistique et technique au cours des siècles, l’auteur n’hésitant pas au besoin à remonter aux Mérovingiens ou à l’Antiquité ; en témoignent par exemple les beaux articles dédiés aux chapeaux, aux chaperons et à la coiffure. Le style se montre toujours pédagogique, accessible, dépourvu de jargon technique ou de termes trop spécifiques, ce qui rend la lecture de l’ouvrage aisée et plaisante. Ce dictionnaire permet de redécouvrir de nombreux objets tombés en désuétude et tout un vocabulaire largement oublié : Acérofaire, Hanap, Buire, Godendac, Saquebute, Estacheur, Clavain, Gravouère, etc. Un très long chapitre sur les tournois et les joutes rappelle l’origine de ces jeux, leur déroulement, l’équipement des protagonistes et le protocole qui les régit. Citant longuement les textes médiévaux, les articles s’appuient sur une très riche illustration composée de reproductions d’images médiévales, de reconstitutions artistiques et de croquis archéologiques réalisés sous différents angles de vue. La statuaire, les tapisseries et les enluminures permettent à VIOLLET-LE-DUC de disposer d’une véritable “base de données” iconographique de choix.

Les deux tomes consacrés aux armes et à la guerre font l’objet d’une attention particulière de la part de l’auteur. Très impliqué dans la défense de Paris pendant le siège de 1870-1871, il ne nourrit guère de sentiment pacifiste. C’est ainsi qu’il n’hésite pas à écrire dans sa préface : « Nous n’avons jamais cru à la paix perpétuelle ; moins que jamais nous y croyons, moins que jamais nous la souhaitons à l’humanité, car nous sommes de ceux qui considèrent la guerre comme le seul élément conservateur de l’énergie morale qui fait la force et la cohésion d’une nation. » Les différents types d’armes, de casques, de protections, ainsi que les innombrables pièces qui composent une armure, sont méthodiquement passées en revue. L’auteur conclut par un chapitre sur la « tactique des armées françaises pendant le Moyen Âge » qui retrace les grandes batailles de la période.

Les deux dictionnaires de VIOLLET-LE-DUC connaissent un succès considérable et imposent pour longtemps une certaine vision de la civilisation médiévale. Malgré sa déclaration d’intention initiale, l’artiste l’emporte souvent sur l’historien et l’archéologue, ce dont il ne se cache d’ailleurs pas. Une des ses maximes résume d’ailleurs ce paradoxe apparent : « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. » Son œuvre est constituée d’autant de création pure et d’interprétation personnelle que de restauration d’ancien à l’identique. Certaines de ses réalisations, en particulier Notre-Dame-de-Paris et le château de Pierrefonds, lui vaudront de virulentes critiques de son vivant. Reconnaissons en tout cas que sa vision romanesque a largement influencé l’art et la littérature de son temps.

Le Dictionnaire raisonné du mobilier continue à être constamment réédité jusqu’à nos jours, mais le plus souvent sous forme d’anthologie ou en “pièces détachées” ; par exemple les parties relatives aux vêtements et à la guerre ont été publiées séparément. Ainsi l’Encyclopédie médiévale, publiée pour la première fois en 1978, est une anthologie d’articles tirés du dictionnaire d’architecture et du dictionnaire du mobilier.

L’exemplaire de Dicopathe porte l’ex-libris d’André BOYER-MAS, prêtre et résistant, dont la vie fut particulièrement rocambolesque.



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