Erotisme, Histoire de la littérature, Argot

Dictionnaire érotique moderne

Auteur(s) : DELVAU Alfred, CHOUX Jules

 Bâle, imprimerie de Karl SCHMIDT [Bruxelles, GAY et DOUCE]
 nouvelle édition, revue, corrigée, considérablement augmentée par l'auteur et enrichie de nombreuses citations (quatrième édition, la première date de 1864)
  1879
 1 vol (XXIII-375 p.)
 In-octavo
 demi-maroquin alézan d'époque, avec coins, dos à nerfs, titre et tête dorée
 fontispice allégorique en sanguine de J. CHAUVET, bandeaux figuratifs, lettrines ornées, culs-de-lampe


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Attestée depuis l’Antiquité en Orient et en Occident, la littérature érotique constitue un genre à part, revêtant le plus souvent, selon les lieux et les époques, un caractère semi-clandestin. En France, beaucoup d’auteurs ont rédigé, sous un pseudonyme ou de manière anonyme, des écrits dits licencieux”. Citons en particulier LA FONTAINE, MUSSET, DIDEROT, MIRABEAU ou VIVANT DENON.

Contrairement aux écrits strictement obscènes ou pornographiques, le genre érotique, théorisé à partir du XVIIIe siècle, se révèle souvent très riche d’un point de vue linguistique. Jouant sur les allusions, les images plus ou moins crues, plus ou moins alambiquées, le langage codé ou la transgression, la littérature érotique participe à la créativité littéraire et enrichit le langage. Comme l’écrit Alain REY, l’érotisme « sélectionne des mots qui agissent sur la libido en évoquant plus les désirs que les pratiques qu’ils désignent ». Parallèlement à la littérature, l’érotisme, dans la forme moins intellectualisée” de la grivoiserie, est bien évidemment présent dans la langue populaire” par le biais d’un vaste lexique argotique forgé au cours des siècles. Il se retrouve ponctuellement dans la littérature satirique, comme par exemple celle de RABELAIS. C’est en privilégiant ce champ lexical truculent qu’Alfred DELVAU entend réaliser le premier véritable dictionnaire érotique.

Écrivain polygraphe fécond, il se fait d’abord connaître en tant que journaliste et républicain engagé. Brièvement secrétaire de LEDRU-ROLLIN, il reprend sa carrière d’auteur dès l’avènement du Second Empire. Dès lors il multiplie les romans, les essais et les ouvrages historiques. Il rédige plusieurs livres sur sa ville natale, comme Les dessous de Paris ou une Histoire anecdotique des cafés et cabarets de Paris. Il participe également à la rédaction du Dictionnaire universel de LACHATRE.

Grand amoureux du français et de ce qu’on appelle alors la langue verte, DELVAU déplore qu’il n’existe pas de réel dictionnaire du langage érotique. Il déclare : « Aucun écrivain jusqu’à ce jour, ne s’est assez senti assez franc du collier ou assez ferme des rognons pour entreprendre la rédaction d’un dictionnaire érotique complet, publication jugée cependant nécessaire par tout le monde, par les gourmets aussi bien que par les goinfres, les lettrés aussi bien que par les simples curieux. » Des tentatives ont pourtant bien eu lieu depuis la fin du Moyen Âge. On peut citer en particulier le Glossarium eroticum de PIERRUGUES, le Dictionnaire d’amour de DREUX du RADIER ou, sorti en 1861, le Glossaire érotique de la langue française du philologue belge Auguste SCHELER, alias Louis DE LANDES. DELVAU juge ces glossaires très incomplets à son goût, timorés et centrés sur une langue littéraire et tarabiscotée. La parler populaire et l’argot, qui fournissent pourtant un champ lexical vaste et varié, lui semblent largement ignorés dans ces ouvrages : « Mais les expressions modernes, mais les mots pittoresques, nés d’hier, qui servent d’étiquettes aux choses de la coucherie, de l’amour, de la polissonnerie, qui a eu la patience de les colliger et le courage de les nomenclaturer ? » Il y voit surtout le reflet de l’hypocrisie et de la pudibonderie maladive de la société bourgeoise de son temps.

Remonté contre la frilosité du monde littéraire et savant, il entend libérer” le langage de son carcan de bienséance et exprime son « dégoût de la feuille de vigne que les hypocrites placent sur leurs discours, comme les vieilles femmes un couvercle sur leur pot de chambre ». Il fait l’éloge des écrivains de la Renaissance qui ne dédaignaient pas les expressions lestes et le mélange des genres, mais dénonce la phraséologie bégueule” née au XVIIe siècle, entérinée par l’Académie et portée au pinacle par le mouvement des précieuses, d’où est issue la langue châtrée” contemporaine.

À propos de son projet lexicographique, il fait cette comparaison audacieuse et ironique : « Je me suis fait le saint VINCENT-de-PAUL des nombreux mots orphelins qui grouillent dans le ruisseau, des nombreuses expressions vagabondes qui se morfondent depuis si longtemps à la porte du Dictionnaire de l’Académie, et je leur ai construit, à mes frais, un petit hospice, en attendant qu’on songe à les admettre dans le grand. »

Précédé d’un frontispice de ROPS, le Dictionnaire érotique moderne sort en 1864, d’abord de manière confidentielle et à un petit tirage. Par précaution, il est édité à Bruxelles (Freetown” sur la page de titre) et imprimé en Suisse. Bien que, dès 1865, ce livre, qualifié comme « le plus froidement immonde qui existe » par le tribunal correctionnel de la Seine, soit condamné à la destruction, le succès est au rendez-vous. Vendu sous le manteau, il est réimprimé mais fait surtout l’objet de nombreuses copies et contrefaçons. DELVAU prépare une nouvelle édition augmentée quand la mort l’emporte, en mai 1867.

Ses notes sont récupérées, et la nouvelle édition est confiée à Jules CHOUX. Ce dernier intègre les corrections de DELVAU, ajoute de nouveaux articles, choisit de nouvelles citations et joint une nouvelle préface intitulée Aux esprits libres”. Cette seconde édition de 1874 est suivie d’une nouvelle refonte publiée en 1875, parfois considérée comme une contrefaçon. Quelques années plus tard, les éditeurs bruxellois GAY et DOUCE, spécialisés en littérature érotique, publient une quatrième édition dont la date réelle de publication reste sujette à caution ; il s’agit de l’ouvrage ici présenté.

DELVAU se défend avec vigueur de flatter les bas instincts et de faire l’éloge de la pornographie : « J’ai le style gaillard mais l’esprit chaste », dit-il. Même s’il n’apprécie guère SADE, il ne prend pas de gants dans ses définitions, toujours très crues, voire même scabreuses, directes et sans ambiguïtés ni manières. À le lire, on devine que l’auteur prend un malin plaisir à provoquer ses lecteurs et la société bien pensante de son temps.

Ainsi, pour le verbe aimer, la définition donnée est la suivante : « Synonyme élégant et pudique de foutre. Quand un homme dit à une femme : Je vous aime”, il veut lui dire et elle comprend parfaitement qu’il lui dit : Je bande comme un carme, j’ai un litre de sperme dans les couilles, et je brûle de l’envie de te le décharger dans le con”. Il n’y a que les poètes, les impuissants et les mélancoliques qui aient osé jusqu’ici donner à ce verbe éminemment actif un sens passif et ridicule. » Plus loin, il définit l’amour physique comme « le seul amour, le véritable amour, celui des gens bien portants d’esprit et de corps, enfin celui que prisent sérieusement toutes les femmes, même celles qui lisent le plus de romans ».

Illustrées de citations, les définitions témoignent de l’imagination inépuisable de l’humanité dans le domaine du sexe, dévoilé ici sans ambages : « Baiser à vit sec : Ne pas décharger dans la matrice de la femme, qui, à cause des enfants ou seulement par goût particulier, préfère manger le poisson sans la sauce ; Postillon (Faire) : Introduire le doigt, ordinairement l’index, dans le derrière d’une femme ou d’un homme, pendant l’acte vénérien, pour doubler la jouissance », etc. L’humour vient souvent tempérer la crudité assumée du propos, mais il est souvent grinçant voire cynique. Pour citer quelques exemples : « Pisser des os : accoucher, mettre au monde une pauvre petite créature qui s’en repentira un jour ; Fille de joie : Femme qui exerce un triste métier, celui qui consiste à être à la disposition du premier venu ; Mari malheureux : mari peut-être cossu, mais à coup sûr cocu, sans cédille. »

DELVAU n’a pas négligé les pratiques homosexuelles, masculines et féminines, ainsi que l’argot de la prostitution et des maisons closes, comme le prouvent les nombreux articles qui y sont consacrés, comme Miché, Avoir un coucher, Barbillon, Faire descendre le Polonais, Bichon, Bonneau, Battre son quart ou encore Marlou. Pour achever le tableau, l’auteur met l’accent sur les maladies vénériennes et leurs ravages, ainsi que sur la contraception.

Ce dictionnaire connaît une nouvelle édition en 1891, et sera même republié à partir de 1960. Reprenant sa prolifique carrière d’écrivain, DELVAU publie encore en 1866 un Dictionnaire de la langue verte, consacré à l’argot parisien, qui fera longtemps autorité sur le sujet.

QUELQUES EXEMPLES (à retrouver dans le dictionnaire)

Faire l’amour, ou forniquer

Aller à Pinada, Fringuasser, Aller au beurre, Donner le picotin, Faire zon, Fêter la Saint-Priape, Allumer le flambeau d’amour, Forcer la barricade, Faire une grosse dépense, Faire compter les solives à une femme, Bâter l’âne, etc.

Florilège anatomique

Les deux adjoints, la colombe de Vénus, l’abbaye de Clunis, l’abricot de la jardinière, La cognée, Les prunes de monsieur, Les témoins à décharge, Le petit voltigeur, Hiatus, Messire noc, L’andouille des Carmes, Le port de Cythère, Les gigots sans manche, La béquille du père BARNABA, etc.

Quelques pratiques et positions sexuelles

Aller chez le voisin, Faire voir la feuille à l’envers, la diligence de Lyon, Agacer le sous-préfet, Faire zague-zague, Aimer le goudron, Faire une pince au bonnet de grenadier, L’heure du berger, Moucher la chandelle, Faire le chapeau du commissaire, Interroger le pantalon, Galipoter le fondement, Gabahoter, Éplucher les lentilles, Consommer son Kabyle, Faire patte d’araignée, Montrer son degré de longitude, etc.



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