science politique, Philosophie, science morale

Dictionnaire social et patriotique

ou Précis raisonné de connoissances relatives à l'économie morale, civile & politique

Auteur(s) : LEFÈVRE de BEAUVRAY Pierre

 à Amsterdam
 édition originale
  1770
 1 vol (557 p.)
 In-douze
 veau marbré, dos à nerfs
 bandeaux décoratifs, culs-de-lampe


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Devenu aveugle très jeune, Pierre LEFÈVRE de BEAUVRAY surmonte son handicap en cultivant son érudition et en devenant l’auteur de plusieurs ouvrages. Auteur de poésies, d’un roman et, durant la guerre de Sept Ans, d’odes patriotiques, en 1754 il traduit en français les Paradoxes métaphysiques sur le Principe des Actions humaines, du philosophe libre-penseur britannique Anthony COLLINS. En 1769, il signe également Récréations philosophiques d’un aveugle. L’année suivante, notre littérateur ajoute un autre opus à une bibliographie quelque peu éclectique avec un ouvrage au titre à la fois pompeux et énigmatique : Dictionnaire social et patriotique ou Précis de connaissances relatives à l’économie morale, civile & politique ; c’est le livre que nous vous présentons ici. Le lieu de publication indiqué en page de titre est Amsterdam, sans nom d’éditeur, ce qui laisserait entendre – à moins qu’il ne s’agisse d’une coquetterie de l’auteur – qu’il a été édité sans autorisation officielle en France. De fait, la ville hollandaise est alors un lieu privilégié pour éditer et diffuser des ouvrages en contournant la censure royale.

Si le livre revêt la forme d’un dictionnaire, il s’agit plutôt d’un essai philosophico-politique et moral organisé selon des rubriques classées par ordre alphabétique. S’opposant aux beaux esprits qui ne cherchent qu’à briller dans les salons, aux songe-creux et à ceux qui n’utilisent pas leur science pour tenter d’améliorer le bien commun, LEFÈVRE de BEAUVRAY entend mettre les fruits de ses réflexions et de ses études au service de son pays. Il revendique un patriotisme exacerbé que l’on retrouve tout au long du livre, écrivant dans le préambule cette déclaration enflammée : “Malheur aux gens de lettres, dont la vanité seule excite & développe le génie ! Heureux les écrivains dont le cœur échauffe l’esprit & vivifie en quelque sorte toutes les productions ! L’ignorance frivole applaudit aux uns, la tendre humanité sourit aux autres. C’est à vous, ô ma patrie ! c’est à vous que j’ose en appeler daigner m’entendre & juger vous-même des motifs qui m’ont dirigé, soit dans la composition, soit dans la dédicace de ce dictionnaire. Je n’ai jamais celé d’identifier mon bonheur avec celui de mes semblables.”

Dans son livre, l’auteur, guidé par le souci permanent d’exposer ce qui pourrait être bénéfique pour la France, développe différentes idées, s’interroge puis propose des solutions ou des pistes à explorer plus avant. Il a souvent recours à une érudition un peu envahissante, truffée de références antiques et, se montrant tour à tour très moderne ou conservateur, il expose sans ambages ni fausse modestie son point de vue. Au fil des pages, il ne peut se départir d’un certain moralisme, la vertu allant pour lui de pair avec le bonheur commun et une société harmonieuse et apaisée. Dans une prose riche en envolées lyriques et en citations, il brosse un portrait grinçant des mœurs et des lubies de ses contemporains.  S’il se montre parfois un peu confus dans ses démonstrations, il s’affirme comme un ardent partisan de l’intérêt collectif face aux égoïsmes de toutes sortes. Il compare en permanence la situation en France et en Angleterre. S’il reconnaît la supériorité commerciale et militaire de cette dernière, il tempère l’anglophilie ambiante des milieux éclairés et démontre les faiblesses cachées, qu’elles soient politiques, sociales ou économiques, de l’Empire britannique, tout en mettant en avant les atouts inexploités de la France.

Ce livre sera réédité en 1774 sous un titre plus explicite : Dictionnaire de recherches historiques et philosophiques. LEFÈVRE de BEAUVRAY mourra dans l’anonymat à une date inconnue.

Extraits

Célibat : L’espèce de discrédit, où se trouve actuellement le mariage dans presque toute l’Europe, peut-être doit-on l’attribuer à l’institution du célibat parmi les ecclésiastiques, qui par là l’ont mis en honneur. Sans doute, il est chez eux l’effet respectable d’une vertu plus pure : mais, dans les autres conditions, peut-on l’attribuer à la même cause ? On a peine à se le persuader, quand on connaît les motifs, qui engagent la plupart des gens du monde à profiter si mal d’un si bon exemple. Ils s’en font un manteau pour couvrir les désordres les plus honteux & les plus préjudiciables à la société. L’amour de l’indépendance, la folle ambition, un luxe extravagant, la sotte vanité, le goût effréné des plaisirs, le désir réel de se rendre personnellement heureux, & la crainte chimérique de faire des infortunés ; voilà les vrais idéaux, qui dépeuplent insensiblement nos villes & nos campagnes. Tant de richesses, prodiguées sans cesse pour satisfaire à des besoins fictifs & à des fantaisies éphémères, suffiraient de reste à l’entretien d’une multitude d’enfants qui seraient en même temps la force de l’État & la consolation des parents. Ne sont-ce pas là, pour les philosophes & pour l’homme sensible, des avantages préférables à des satisfactions frivoles, & même criminelles ? Le comble de la dépravation est de voir des hommes & des femmes qui osent porter jusque dans le mariage l’esprit du célibat, & préférer les titres d’hommes à bonnes fortunes, & de petites maîtresses, à ceux de pères & de mères de famille.

Éducation : Le meilleur parti serait sans doute de concilier toutes les deux, & de corriger ainsi l’une par l’autre. Un des principaux avantages de l’éducation publique est sans contredit de mettre les hommes à même de traiter de bonne heure ensemble, de s’observer de près, & de se connaître mutuellement. Cette sorte d’expérience anticipée développe plutôt, en eux, le germe des talents & des sentiments. C’est en quoi l’éducation française est supérieure à l’éducation anglaise. Les véritables trésors de l’État s’accroîtraient avec la population, dont le luxe & la débauche corrompent les canaux. On ne verrait plus tant d’hommes privés se préférer insolemment au public, en immolant, à la vanité d’un moment, la génération présente & celle qui pourrait suivre. Rétablissez les mœurs dans toute leur pureté, rendez à l’honneur tout son lustre & vous rendrez aux lois toute leur vigueur. L’État sera peuplé de citoyens bien élevés, par conséquent toujours disposés à le servir de leurs lumières & de leurs bras. Telles font les suites, qui résulteraient de l’Institution que nous osons proposer, & qui ne pourraient jamais avoir lieu dans le système hasardé par un écrivain trop célèbre. En effet, de quel avantage peuvent être à l’humanité des spéculations inadmissibles dans la pratique, ou qui, pour en être susceptibles, exigeraient un renversement total de l’ordre actuel ? Il semble que M. Rousseau, au lieu de plier Émile aux lois de la société, ait entrepris de soumettre ces mêmes lois aux caprices de sa propre imagination, comme aux fantaisies de son élève.



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