culture générale, Français (langue), Lexicographie

Grand vocabulaire françois (Le)

1- L'explication de chaque mot considéré dans ses diverses acceptions grammaticales, propres, figurées, synonyme & relative. Il renferme tous les mots usités de la langue française et ceux du vieux langage. 2- Les loix de l'orthographe, celle de la prosodie, ou prononciation, tant familière qu'oratoire; les principes généraux & particuliers de la grammaire; les règles de la versification & généralement tout ce qui a rapport à l'éloquence & à la Poésie. 3- La Géographie ancienne & moderne, le blason ou l'art héraldique, la mythologie, l'histoire naturelle des animaux, des plantes & des minéraux, l'exposé des dogmes de la religion & des faits principaux de l'histoire sacrée, Ecclésiastique & profane. 4- Des détails raisonnés & philosophiques sur l'économie, le commerce, la marine, la politique, la jurisprudence civile, canonique & bénéficiale, l'Anatomie, la médecine, la chirurgie, la chymie, la physique, les mathématiques, la musique, la peinture, la sculpture, la gravure, l'architecture, &c., &c.

Auteur(s) : GUYOT Joseph-Nicolas, CHAMFORT Sébastien Roch Nicolas de, DUCHEMIN de LA CHESNAYE Ferdinand-Camille

 à Paris, chez C. PANCKOUCKE, libraire, rue & à côté de la Comédie française
 édition originale (la mention "seconde édition" sur la page de titre des premiers tomes ne semble correspondre à une première version effectivement publiée)
  1767-1774
 15 vol. regroupant 30 tomes (environ 18240 p.)
 In-quarto
 veau fauve marbré, dos à cinq nerfs, caissons ornés de fleurons dorés
 bandeaux décoratifs, culs-de-lampe, lettrines


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Déjà libraire et grand patron de presse, Charles-Joseph PANCKOUCKE rachète entre 1762 et 1764 plusieurs fonds de grandes libraires parisiennes. Il devient ainsi un éditeur de premier plan, affichant dans son catalogue un grand nombre d’œuvres prestigieuses. Fort de la bonne santé financière de sa société, il a désormais les coudées franches pour se lancer dans de grands projets éditoriaux.

En Europe, et plus particulièrement en France, la période est marquée, du point de vue éditorial, par la multiplication des grands dictionnaires encyclopédiques, thématiques ou généraux. Dans cette dernière catégorie, les plus importants sont alors le Dictionnaire universel de Trévoux, constamment réédité et renouvelé depuis le début du siècle, et l’Encyclopédie de DIDEROT et D’ALEMBERT (deux ouvrages présents sur Dicopathe) dont les derniers tomes de texte sont en cours de parution. Bien que partageant avec les encyclopédistes l’ambition de rassembler dans un vaste dictionnaire l’ensemble de la connaissance humaine, il se tient, dans un premier temps, à distance de leur projet. Il conteste en effet le caractère éclectique et inégal de l’équipe de rédacteurs, mais aussi le caractère philosophiquement et politiquement engagé du contenu. Il entreprend donc un projet autonome sous la forme d’un grand lexique qu’il souhaite réellement universel par rapport à ceux de ses prédécesseurs. Sa préface se montre critique en particulier envers le Dictionnaire de Trévoux à propos duquel il écrit : « Outre tant d’omissions, on peut encore se plaindre de l’ambiguïté, de l’obscurité même, & surtout de l’insuffisance & de l’inexactitude de la plupart des définitions. » De même il n’hésite pas à décrire l’Encyclopédie comme « un amas de très bons matériaux propres à construire ».

Doté du nom de Grand vocabulaire françois, ce dictionnaire se veut objectif et “scientifique” dans son ton, et ambitionne de renfermer « tous les mots usités de la langue françoise », c’est-à-dire les noms communs, les termes de droit et de médecine, le vocabulaire scientifique et la mythologie. La rédaction de l’ouvrage est confiée à « une société de gens de lettres », dont on ne connaît pas les membres, à l’exception de trois d’entre eux : Sébastien Roch Nicolas de CHAMFORT, Ferdinand-Camille DUCHEMIN de LA CHESNAYE, et surtout Joseph-Nicolas GUYOT. Ce dernier semble bien avoir été le véritable éditeur scientifique de l’ensemble, même si PANCKOUCKE ne s’est pas dessaisi de la direction générale de l’entreprise. On peut aussi noter que, selon les sources, il est souvent confondu avec des homonymes comme GUYOT DESFONTAINES ou encore Pierre-Jean-Jacques Guillaume GUYOT.

Le premier volume du Grand vocabulaire sort à Paris et à Amsterdam en 1767 et suscite d’emblée une vive polémique. Des voix s’élèvent en effet pour dénoncer ce qui paraît s’apparenter à un plagiat en raison de ressemblances très nettes entre certaines de ses définitions et celles de l’encyclopédie de DIDEROT et D’ALEMBERT, du Dictionnaire de Trévoux et du Dictionnaire de l’Académie française. Dès l’avertissement du second tome, PANCKOUCKE monte au créneau pour défendre son Grand vocabulaire françois : « Il seroit inutile de nous arrêter plus long-temps sur une accusation de ce genre: elle est trop peu fondée, pour qu’elle doive intéresser nos Lecteurs ; nous les prierons seulement de comparer le grand Vocabulaire françois avec les livres dont on prétend qu’il n’est que la copie ; ce moyen nous justifiera mieux que tout ce que nous pourrions dire. » Prenant pour référence la quantité d’articles rassemblés jusqu’au mot Aiguillat, il fait remarquer que l’Encyclopédie, qu’il qualifie par ailleurs d’« excellent livre », ne renferme que 900 articles, le Dictionnaire de Trévoux n’en propose de son côté que 1 400, alors Le grand vocabulaire françois en contient 2 600.

Pour tenter de faire taire les accusations et les rumeurs malveillantes, PANCKOUCKE met en avant un travail grammatical qui, développé dans les définitions, constitue une originalité propre au Grand vocabulaire français : « Ces détails de Grammaire qui ne sont propres qu’au grand Vocabulaire françois, suffisent, sans doute, déjà pour réfuter puissamment toute imputation de ressemblance (au moins à cet égard) avec quelqu’autre ouvrage que ce soit : ajoutons que le grand Vocabulaire françois renferme seul la totalité des mots de tous les dictionnaires, & que sans en avoir copié aucun, il en donne la substance utile & épurée. »

Placée au cœur du projet, la linguistique est l’objet d’un soin particulier et fait de l’ouvrage à la fois un dictionnaire universel, un dictionnaire de langue et un dictionnaire grammatical. La préface affirme avec force cette grande ambition : « Le Grand Vocabulaire doit être le code le plus complet de la Langue françoise & des Belles-Lettres : chaque mot y est expliqué dans tous les sens qui lui sont propres : on remarque les nuances qui le différencient des autres mots auxquels il peut avoir rapport. » Le programme proposé se veut exhaustif : « Si c’est un adjectif, on enseigne s’il doit suivre ou précéder nécessairement ou indifféremment le substantif auquel il appartient ; si c’est un verbe, on assigne son régime, & par quelles particules il doit être lié avec l’infinitif d’un autre verbe : s’il est irrégulier, on le conjugue : s’il est régulier, on indique les règles pour le conjuguer, & quels auxiliaires forment ses temps composés, quand il est neutre. Chaque mot d’usage est d’ailleurs suivi de sa quantité prosodique, partie jusqu’à présent si négligée, & cependant si essentielle aux grâces, à la pureté & à l’harmonie du langage ; on développe les abus de l’orthographe actuelle, avec les moyens d’y remédier ; en un mot, on ne laisse rien à désirer sur la manière d’écrire & de prononcer correctement. » Quand l’article se rapporte à un verbe on y trouve systématiquement des indications sur sa construction et sur sa conjugaison. De même, le dictionnaire apporte des informations sur la prosodie, la phonétique et la prononciation. Ainsi est-il précisé dans l’article “François,oise” : « On prononce & l’on devroit écrire, fransais, fransaise. » Notons enfin qu’à l’instar du Dictionnaire de l’Académie française le Grand vocabulaire ne renferme aucune citation.

Malgré son volume imposant, à sa parution le Grand vocabulaire françois ne rencontre pas le succès escompté, plombé par les accusions de plagiat, mais aussi, il faut bien le dire, par le prestige et le succès public des autres dictionnaires encyclopédiques déjà cités, auxquels il faut ajouter, à partir de 1770, l’Encyclopédie d’Yverdon (présente sur Dicopathe). Le projet est néanmoins mené à son terme, les 30 tomes paraissant régulièrement jusqu’en 1774. Mais, avant même qu’il soit achevé, l’hyperactif PANCKOUCKE est déjà passé à autre chose. En effet, ayant racheté les droits de l’Encyclopédie, il s’occupe désormais de sa réédition mais aussi de la rédaction et de la publication des suppléments et de la table analytique. Parallèlement, il se lance dans la grande entreprise éditoriale de sa vie : l’Encyclopédie méthodique (présente sur Dicopathe), projet pharaonique auquel il va consacrer pour de nombreuses années une grande part de son énergie et de ses ressources. Quoi qu’il en soit, et pour reprendre l’expression employée par Christophe REY, universitaire spécialiste de cet ouvrage, le Grand vocabulaire françois, bien que très méconnu, reste « le premier fait d’armes lexicographique de PANCKOUCKE ».



Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire